Plumes et Couleurs

nocom :


l'Exégèse de certaines choses




ndlr : ce que vous allez s'il vous plait de le faire ;-) lire, est dans mon jargon à moi ce que j'appelle "une idée, juste ue idée.. Je le reprendrai ou non probablement un jour pour en faire quelque chose, mais je l'ai retrouvé en cherchant tout autre chose dans mon b***** chez moi.. J'ai eu envie de vous le faire partager tel que, brut de décofrage et sans prétention aucune. Have fun !

ps: en laissant le curseur de la souris sur la petite flèche grise du bas en bas à droite le texte défile tout seul à une vitesse de lecture qui me semble convenable. Le bureau des réclamations est ouvert ceci dit :)


 

Scène 1 : Jordan va fermer une porte, une femme s’approche.

 

La femme (Chloé) :

 

Excusez moi, vous fermez, déjà ?

 

Jordan jette un œil à sa montre.

 

Jordan :

 

C’est qu’il n’est plus venu personne depuis au moins une heure madame, aussi me disais-je..

 

Chloé :

 

Je suis infirmière, j’étais de garde. Je n’ai vraiment pas pu venir avant, et demain. Demain qui sait si j’aurai encore le courage de venir ?

 

Jordan lui sourit.

 

Jordan :

 

Il y a comme une urgence donc.

 

La femme sourit à son tour.

 

Chloé :

 

Il y a urgence docteur, je le crains oui ! Vous êtes docteur ?

 

Jordan :

 

Heureusement non ! Mais asseyez vous, je vous en prie.

 

Elles s’asseyent sur la marche du perron sans autre formalité.

 

Jordan :

 

Vous permettez ?

 

Jordan allume une clope.

 

Chloé :

 

Et donc cet endroit s’appelle le Sanctuaire ?

 

Jordan :

 

Comme il est écrit !

 

Chloé :

 

Et c’est un vrai sanctuaire ? LE sanctuaire des mères de familles totalement déchirées désespérées ? Etes-vous une mère de famille déchirée désespérée ?

 

Jordan regarde sa montre.

 

Jordan :

 

En cet instant précis précis non. Mes enfants sont chez leur grand-mère. Mais cela m’arrive, souvent même !

 

Chloé :

 

Cela vous arrive souvent qu’ils soient chez leur grand-mère ?

 

Jordan :

 

Malheureusement non. Cela m’arrive souvent d’être une mère totalement, déchirée, désespérée. Oserais-je dire : bienvenue au Club ? Ou bien, auriez vous adhéré, auriez vous secrètement adhéré depuis très très longtemps sans jamais oser vous inscrire officiellement ?

 

Chloé sourit.

 

Chloé :

 

Vous me promettez sérieusement, de n’être ni médecin, ni psy, ni quelque chose dans le genre, ni quelque chose d’encore même plus retors ?

 

Jordan :

 

Je vous promets de n’être ni médecin, ni psy, ni quelque chose dans le genre.. mais pitié, s’il devait m’arriver de l’être, laissez moi être retors, ça doit sûrement faire du bien, parfois, de l’être un tout petit peu ! Non ?

 

Chloé :

 

Sûrement !

 

Chloé soupire.

 

Chloé :

Vous faisiez quoi avant que je n’arrive ?

 

Jordan :

 

Je terminais le ménage, ne vous déplaise.

 

Chloé :

 

Vous terminiez le ménage ? J’en suis fort aise !

 

Jordan :

 

Tant mieux !

 

Chloé :

 

Ma fille est homosexuelle. Vous devez vous dire que cela n’aurait sûrement pas du suffire à faire de moi une mère totalement déchirée désespérée ?

 

Jordan secoue la tête.

 

Jordan :

 

Je me dis qu’il doit suffire de beaucoup moins, parfois. Ils ont tellement, mille et mille façons à eux de trahir nos rêves, nos monstres.

 

Chloé :

 

Et sans plaisanter, vous avez des enfants gays ou homosexuels ?

 

Jordan :

 

Je crains si ce n’est le cas, de ne pas encore être au courant, mon aînée a cinq ans. Ainsi, je m’en voudrais de conjecturer trop vite, j’ai bien assez de soucis comme ça. Ceci dit de vous à moi, ma fille joue aux voitures, vous croyez que c’est un signe désespérant définitif ?

 

Chloé :

 

Hélas non ! Ma fille n’a jamais joué aux voitures, ce n’était même pas l’une de ces petites filles, vous savez : celles qui font les quatre cent coups, celles qui traînent en bande avec les garçons..

 

Jordan :

 

Elle jouait même aux poupées ?

Chloé affirmative :

 

Elle jouait même aux poupées !

 

Jordan :

 

La traître !

 

Chloé :

 

Bah.

 

Chloé se lève. Jordan se lève aussi, maladroitement. Chloé lui tend une main.

 

Jordan :

 

Merci.

 

Chloé :

 

Je dois y aller. J’étais suffisamment désespérée pour venir ici aujourd’hui, mais peut être le suis-je déjà trop pour en dire plus, me vider, m’épancher, faire le ménage.. Vous savez ?

 

Jordan acquiesce :

 

Je crois que je sais. Mais.. Est-ce que vous me permettriez de faire semblant de me rendre tout à fait inopinément, dans la même direction que vous, peut être quelques mots d’histoire vous échapperaient-ils encore en route, et peut être même, vous sentiriez vous moins lourde, de tous ces maux que vous ne dites encore pas ?

 

Chloé :

 

Le hasard fait bien les choses aujourd’hui, j’allais exactement dans cette direction là.

 


Scène 2 : Les mêmes, assises dans ce qui semble être un café.

 

Jordan :

 

Ca a été au boulot aujourd’hui ?

 

Chloé :

 

Ca n’a pas été du tout ! J’étais complètement ailleurs, je n’ai fait que des conneries ! Je n’ai pas cessé de repenser à notre conversation d’hier soir.

 

Jordan :

 

Pourtant nous ne nous sommes pas dits grand-chose, non ?

 

Chloé :

 

Oui, mais j’ai eu cette impression de pouvoir vous parler de tout ça, et ça a été tellement dur de trouver ce quelqu’un à qui en parler. Vous voulez bien que je vous en parle ?

 

Jordan, gênée :

 

Je me sens flattée, alors pitié, parlez mais ne me reposez plus jamais ce genre de question, ok ?

 

Chloé lui tend la main.

 

Chloé :

 

Marché conclus !

 

Elles boivent une gorgée de café. Chloé regarde parfois la lampe au plafond, comme si de là venait l’espoir.

 

Chloé :

 

Ma fille a vingt deux ans. Elle a eu son bac avec mention très bien, vous savez ? Puis elle a été reçue major, au concours, pour être officier de marine. Dans la foulée, le même jour, elle m’a annoncé que pendant ses permissions elle ne rentrerait pas dormir à la maison, qu’elle irait chez Elle ; cette femme qu’elle venait de rencontrer, laquelle a quinze ans de plus qu’elle et trois enfants. Elles se sont pacsées. Moi, j’ai relativement bien tenu le choc, mais mon mari lui, est parti. Sans compter qu’elle était l’aînée de huit enfants, dont sept maintenant s’espionnent mortellement les uns les autres, de peur qu’un autre parmi eux, ne soit un dévot de l’enfer !

 

Jordan :

 

Et vous aussi, vous pensez qu’elle est un dévot de l’enfer ?

 

Chloé :

 

Je suis catholique. Mais au terme de tout ce qui m’est arrivé ces deux dernières années, quitte à ne plus croire en D ieu, autant ne plus croire au diable non plus !

 

Jordan :

 

Ca au moins c’est équitable !

 

Chloé :

 

N’est-ce pas ? Et donc, je n’ai pas revue ma fille depuis deux ans.

 

Jordan :

 

Pourquoi ?

 

Chloé :

 

Disons que je n’ai pas voulu y croire, que j’ai cru que ça lui passerait.. J’ai cru aussi que c’était une perversité, qu’elle s’était trouvée une mère avec laquelle elle pourrait bien coucher ! J’ai eu la bêtise de le lui dire aussi..

 

Jordan sourit.

 

Jordan :

 

Je vois que vous aviez eu de saines lectures !

 

Chloé :

 

Ah bon ? Tout le monde n’a pas lu et relu tout Freud en langue originale ? C’est peut être bien réellement à cause de moi qu’elle est lesbienne, alors..

 

Jordan la regarde fixement.

 

Jordan :

 

A-t-elle les yeux bleus ?

 

Chloé :

 

Totalement !

Jordan :

 

C’est donc totalement à cause de vous qu’elle a les yeux bleus ! Elle doit être belle aussi..

 

Chloé sourit :

 

Vous vous foutez de moi ?

 

Jordan :

 

Un peu oui, j’avoue. Mais c’est irrésistible vous ne trouvez pas ?

 

Chloé :

 

Je suppose que oui, ça doit être assez irrésistible. Mais c’est comme ça : votre enfant vous annonce qu’il est homosexuel, vous vous posez un milliard de questions, et comme les réponses à ces questions n’existent pas, de guerre lasse vous adhérez à tous les poncifs les plus délirants de tous les psys à la manque les plus stupides !

 

Jordan :

 

Mais vous auriez pu en inventer ?

 

Chloé :

 

Pardon ?

 

Jordan :

 

Des réponses à vos questions : vous auriez pu en inventer ! Comme à cette question : Quelle heure est-il ? Bleu ciel ! Pourquoi ma fille est-elle homosexuelle ? Mais pourtant elle tourne !

 

Chloé :

 

Je devais avoir épuisé toutes mes ressources d’imagination.. J’ai tellement imaginé, qu’elle serait « normale ».

 

Jordan :

 

Et aujourd’hui qu’imaginez vous ?

 

Chloé :

 

J’imagine chaque soir en m’endormant, qu’au réveil, rien de tout cela ne sera vrai. C’est beaucoup plus simple.

Jordan :

 

Je parie tout ce que j’ai en ce cas, que cela fait une éternité que vous n’avez plus farfouillé sur les quais auprès des bouquinistes, il est plus que temps de changer de motifs imaginaires vous savez ? C’est comme le papier peint dans une vieille maison.. Si votre imagination est toute décrépie, il est plus que temps de ravaler les plâtres !!

 

Chloé :

 

Et donc, une fois que le ménage sera fait, dans ma vie, vous me conseillez de changer la déco ?

 

Jordan :

 

Il est plus que temps de s’y préparer non ? C’est tellement tristounet tout ce que vous me dites là..

 

Chloé :

 

Remarquez le progrès : ce que j’avais à vous dire hier était dramatique ! aujourd’hui tout cela n’est plus que tristounet !

 

Jordan dans un murmure :

 

Reste à espérer que demain peut être tout cela sera gay ?

 

Chloé sourit. Jordan se pince les lèvres.

 

Chloé :

 

J’étais sûre que vous me la feriez !! Mais là elle était facile, avouez ?

 

Jordan :

 

Le corbeau honteux et confus, jure mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendra plus ! Juré, craché ! Je suis pardonnée ?

 

Chloé acquiesce :

 

Vous l’êtes !

 

 


Scène trois : Sur un banc, quais de Saône. Jordan, son tél.

 

Jordan sourit.

 

Jordan :

 

Je t’annonce que j’ai rencontré une femme, passé tous ces derniers jours avec elle, et je n’ai même pas droit à une crise de jalousie ? Comment cela c’est un privilège que tu n’accorde que dans les premiers mois d’une relation ? Alors quoi, si tu rentre à l’improviste dimanche et que tu la trouve nue, dans mon lit, tu ne te jetteras même pas sauvagement sur moi pour me frapper ?

 

Tu es non violente et tu connais d’autres moyens pour me faire du mal, certes..

 

Si je compte tant que cela que tu te jette sauvagement sur moi à l’improviste, c’est dommage, tu n’auras probablement pas de perm avant trois mois.. pffffffff !!!

 

Et tes maîtresses comment elles vont ?

 

Pas de temps à leur consacrer, tu es un vrai monstre quoi..

 

Elle murmure.

 

Je vais te dire un truc tellement éculé et plat que pitié, fais semblant de ne pas l’avoir entendu : tu me manque..

 

Si c’est un mensonge ? Oui probablement ! Sûrement même ! Avec mon boulot, mes gosses, le Sanctuaire pour parents et amis de gays et lesbiens, mes maîtresses, mes revues de presse, mon dernier roman, où veux tu honnêtement que je trouve le temps de penser à nous ? Et toi, tu y penses à nous ?

 

Tin t’as vraiment du temps à perdre ! Tu ne te dis jamais qu’un jour très vite, tu en auras marre de ma tronche, de ma vieillerie, de mes vannes toujours les mêmes, de mon appart trois pièces dans un immeuble hlm ?

 

Non, ça c’est de Stendhal ! Je te l’ai dit : arrête de te prendre pour Fabrice del Dongo, il a fini décapité.. Si déjà, Julien Sorel, Madame de Rênal, c’était plus de mise.. Oui, certes je n’ai pas dit que tu étais le genre à sortir avec une nana qui s’appellerait Mathilde ! Ceci dit récemment, j’en ai vu une super jolie de Mathilde..

 

Trois ans.. ou trois ans et demi, faudra que je redemande à sa mère au parc.. très jolie aussi d’ailleurs la mère.. oui je sais, j’ai une vraie prédilection pour les tites mamans..

 

Le Sanctuaire ? Bah, c’est très dur. Les gens sont blessés, révoltés. On finit par ne plus savoir quoi leur dire. Votre enfant est normal, tout va bien, prenez deux lexomils le soir avant de vous coucher, et si quelqu’un au boulot vous emmerde, frappez le, ça vous fera sûrement du bien !

 

Ou alors version peace and love : votre enfant est normal madame ! il a compris ce qu’était l’amour, fume de l’herbe et pense hari krishna, vous devriez vous y mettre vous aussi à l’herbe sûrement que ça vous calmerait..

 

Ya la version surdoué aussi : oui mais votre fils à vous madame, il a quand même eu le bac mention très bien, tandis que celui de votre concierge, il fait quoi déjà ? Oups, désolée.. c’est vrai que tu ne l’aime pas celle-là.

 

Une nouvelle pour changer : quelle est la vraie différence entre un homosexuel, un métrosexuel et un hétérosexuel ? Les deux derniers ne seront jamais totalement convaincus que la maladie du premier ne soit pas vraiment contagieuse..

 

Dis ?

 

Non, rien.

 

Je voulais juste te dire que j’ai adoré ton dernier poème.. Et, je sais, ça encore, c’est d’une très grande platitude. Mais qu’est-ce que tu fous décidemment, avec une nana aussi peu imaginative que moi ?

 

Je me dis malheureusement souvent que la vie est courte tu sais, que peut être tu ne devrais pas me consacrer aussi exclusivement toutes tes escales.

 

Ok, ok, je n’ai rien dit ! Mais tu auras beau faire, j’y pense, et ce que je dis et répète tout simplement, c’est que j’imagine trop bien quelle est la douleur d’une mère privée de son enfant pendant toutes ces années..

 

Non, laisse tomber, ne me fais pas le coup de la voiture qui passe dans un tunnel, je te rappelle que tu es sur un bateau, et que les transmissions satellite sont impeccables ! Ok, je passe à autre chose..

 

Tu crois que tu seras là pour la fête de fin d’année à l’école ? Alors, pas de bol pour toi, tu devras encore te taper les décors ; déjà, les enfants ne parlent que de ça à longueur de journée..

 

Moi aussi. Parce que ! Parce que pas comme cela ! Parce que pas au téléphone.. parce que peut être tes lettres de vingt deux pages enflammées en compteraient bien moins si je te le disais plus souvent, et que j’éprouve un horrible besoin de te lire ! Nous vivons un grand amour platonique toutes les deux, c’est connu !!

 

Elle éclate de rire, rougit.

 

La nuit je rêve à l’odeur et à la chaleur de ta peau tout contre la mienne. Je repense à ce soir là dans le théâtre romain, j’ai déclamé Andromaque de la première à la dernière ligne, le vent était tiède et tu ne regardais que moi.

 

Tin me faire grimper à pied de Saint Jean à Fourvière, non, je ne risque pas d’oublier.. ce serait sans compter ma toute prédilection pour le sport, enfin pour certains sports.

 

Aussi longtemps que ça ? Tiens, tu vois, je radote..

 

Bah, c’était magique.. Je ne m’attendais pas à découvrir Renée Vivien ce soir-là, et pas sur les lèvres de la gamine que tu es. D’accord. De la gamine que tu étais..

 

Non, ce n’est pas si étrange, de ne pas souffrir vraiment, de l’absence de celle que tu aime. Et non, je ne t’en veux pas. Cela signifie je suppose, que rien n’altère notre proximité, pas même la distance..

 

Avoues que c’est beau ce que je viens de dire là ?! Je te rassure de suite, ce n’est pas de moi !

 

Dans un soupir :

 

Excuse-moi d’avoir dit que tu me manquais.

 

Sérieusement ?! Un albatros, un vrai ? Et il a été surpris de te voir ?

 

Fais attention à toi, je t’en supplie.

 

Père de trois enfants ? Rien que cela ? Tu veux que les enfants t’appellent papa désormais ?

 

Elle soupire.

 

Mais penses y quand même, ok ?

 

Ca va, ils commencent à te fiche un peu la paix, la bande des mecs de mecs ? Ou crétins de crétins.. oui c’est sûr ! Non, je t’assure, c’est pour eux que je me fais du souci, du haut de ton mètre soixante trois et demi, le jour où tu te fâche, c’est vrai, tu vas les mortifier de trouille !!

 

Je te laisse, mon rendez vous galant ne va pas tarder.

 

Non, non, tu ne peux pas imaginer. En fait c’est ça le truc : c’est une totale addiction sexuelle entre toi et moi, je suis trop douée et tu m’as dans la peau !

 

A très vite.

 

Moi aussi.

 

Chloé arrive. Jordan se lève.

 

Chloé :

 

Je vous dérange ?

 

Jordan :

 

Ah non, pas du tout ! Je suis définitivement en panne de batterie ! Vous allez bien ?

 

Elles sortent.

 

 


Scène 4 : Intérieur du Sanctuaire. Les deux femmes sont à genoux.

 

Chloé :

 

J’ai vu un jeune homme mourir du sida aujourd’hui. Il n’avait que l’âge de Marie.

 

Jordan la réconforte et la prend dans ses bras un moment. Puis elles s’asseyent à même le sol.

 

Jordan :

 

Pour le coup tout ce que l’on peut faire ou dire vous et moi, semble tellement dérisoire. Etait-il seul ?

 

Chloé :

 

Son compagnon était là. Il lui a tenu la main jusqu’au bout. Vous croyez que s’il devait arriver quelque chose à Marie, elle me refuserait d’être là ? Même ce jour-là ?

 

Jordan :

 

Je n’en sais foutument rien. J’espère que non. Vous regretteriez de ne pas pouvoir lui témoigner votre amour à ce moment là ?

 

Chloé :

 

Je regretterais de ne plus avoir pu lui témoigner mon amour jusqu’à ce moment-là. Après, l’amour.. (désillusionnée)

 

Jordan sourit doucement.

 

Jordan :

 

D’après moi l’Amour, même quand on est loin.. On voudrait nous faire croire que l’Amour est mortel, que l’Amour meurt avec et du sida aussi parfois. C’est tout le contraire. Rien ne peut altérer l’Amour. L’Amour est la seule chose que les morts nous laissent. Les morts laissent leur Amour en nous avec pour vocation d’être multiplié et rendu contagieux.

 

Chloé sourit :

 

Une sorte de virus ?

 

Jordan :

 

Probablement. Et c’est ce qui rend le sida aussi totalement révoltant : on veut croire que de l’Amour sort nécessairement la vie, mais non. Puis d’autres gens viennent et vous disent que si l’Amour induit la mort, c’est qu’il ne s’agit pas d’Amour, mais plutôt bien d’un vice ou d’une perversion. En fait l’Amour n’engendre rien, ni la vie, ni la mort ; il vous pénètre ou non tout simplement, tel un virus oui, ce qui fait que tant de gens savent aussi bien s’en défendre, tandis que tant d’autres en meurent. Nous n’avons pas tous les mêmes antigènes.

 

Chloé :

 

Vous croyez que l’Amour que j’ai eu pour Marie étant petite demeure en elle, même lorsqu’elle se défend elle, de m’aimer encore ?

 

Jordan acquiesce.

 

Jordan :

 

J’en suis totalement persuadée. Aujourd’hui, vous voudriez qu’elle vous pardonne ?

 

Chloé :

 

Non, même pas. Je ne crois pas qu’il y ait rien à pardonner expressément. En fait elle m’a rejetée de peur que je ne la rejette moi-même.

 

Jordan :

 

Vous culpabilisez ?

 

Chloé :

 

Et vous ?

 

Jordan :

 

Oh moi oui ! Quelle mère ne se sent-elle pas coupable ?

 

Chloé :

 

Je suis d’accord avec vous, ça doit être dans le mode d’emploi de la maternité, le fait de se sentir coupable. Ni plus ni moins !

 

Jordan :

 

Quant à moi j’ai reçu des parents aujourd’hui au Sanctuaire. Peut-être étaient-ils ceux là même de ce jeune homme en train de mourir à l’hôpital.

 

Chloé :

 

Que voulaient-ils ? Etre compris, absous, déculpabilisés ? Pardonnés ?

 

Jordan :

 

Vengés ! Il ne vous est pas arrivé de crier vengeance quant à l’homosexualité de votre fille ?

 

Chloé :

 

Bah non, je sais trop combien la « norme » est une notion idéale.

 

Jordan sourit.

 

Jordan :

 

C’est à se demander ce qu’elle a bien pu vous reprocher votre fille ? Vous êtes une mère parfaite !

 

Chloé :

 

N’est-ce pas ?! Et dire que je me suis tuée à le lui prouver jour après jour pendant près de dix-huit ans !!

 

Jordan :

 

Les enfants sont des ingrats.

 

Chloé :

 

C’est connu.

 

Jordan :

 

Quand est-ce que vous-mêmes avez dit à votre mère que vous l’aimiez pour la dernière fois ?

 

Chloé :

 

Je me disais justement très récemment, qu’enfin j’arrivais à un âge auquel je pourrais le lui dire en le pensant vraiment ! Je m’en voudrais de ne pas avoir été une enfant ingrate à mon tour, cela nuirait à ma toute perfection !

 

Jordan :

 

Ce que je vous concède totalement ! Trop heureuse que je suis de pouvoir me dire, que pour ce genre d’aveux, j’ai bien encore moi aussi, plus que le temps..

 

Chloé songeuse.

 

Chloé :

 

Ca vous n’en savez rien.

 

Jordan :

 

Je n’en sais rien ?

 

Chloé :

 

Je vous expliquerai, un jour. Pas tout de suite. D’accord ?

 

Jordan :

 

Comme vous voulez.

 

 


Scène 5 : Jordan seule. Décor de rue.

 

Jordan :

 

J’ai repensé longuement à notre conversation d’hier, c’est un peu idiot, non ? De fait je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

 

J’ai eu de ces songes vous savez, que l’on fait à moitié éveillé. De ces songes au terme desquels on se sent sales, épuisés, mais dont la fatigue ne s’estompe pas ou que très lentement au matin, comme si elle avait pris corps dans votre âme.

 

J’ai pensé au sida, à Marie. Je me suis dit que c’est étrange d’être lesbienne en fait. Souvent, tous vos amis sont pédés, et vous les voyez disparaître un à un. Vous vous dites : mais je suis homosexuelle moi aussi. Alors pourquoi pas moi ? C’est vrai, pourquoi pas moi ?!

 

Vos copains meurent les uns après les autres, d’aucuns vous ne connaissez qu’un peu, d’autres, vous les connaissez vraiment. D’autres vous avez partagé des moments de vie avec, des moments d’amour sans que pour autant rien de sexuel ne passe entre vous, et donc vous êtes sauve. C’est parfois très culpabilisant ça aussi, de survivre.

 

Je ne vous ai pas dit Chloé que j’étais homosexuelle ? Pédette ? Gouine ? Lesbienne ? Gousse ? Que sais-je encore ?

 

Est-ce par omission ? Est-ce si difficile à avouer ?

 

Qu’en auriez vous à faire ? Cela commencerait-il à avoir une autre signification, si aujourd’hui je vous disais : Chloé je suis homosexuelle moi aussi, ne vous l’ai-je pas dit ? (Amertume.)

 

Oserais-je vous dire ? Lorsque je pense à l’Amour de ma vie.. Oui, je partage ma vie avec une femme ! Voilà, c’est dit ! Ai-je perdu ainsi, en ma qualification de confidente idéale ?

 

Sûrement oui, suis-je retombée le nez par terre de mon piédestal ! Tant pis ! (Colère.)

 

Lorsque je pense à l’Amour de ma vie.. (Douceur.) Oui, j’ai ce bonheur de partager ma vie avec une femme.. Lorsque je pense à elle, souvent, depuis le tout premier jour, je me dis : Sûrement un jour elle me quittera. Elle est si jeune.

 

Elle me quittera pour une jeune femme de son âge, ou même plus jeune encore. Ainsi en est-il de la vie. Ainsi en est-il de l’Amour à ces âges-là. Ainsi en sera-t-il de ma gourmandise à l’aimer elle, aussi passionnément.

 

Souvent me dis-je, que je devrais dès à présent renoncer à notre Amour aussi exceptionnel, pour si d’aventure il se présentait, un amour bien plus raisonnable. L’un de ces amours confortables, lesquels sont l’apanage de nos vieux jours, lesquels sont les plus fiables et les plus certains.

 

Est-ce avec intention que j’oserais vous dire tout cela ? Si seulement j’osais vous le dire ?

 

Et quand bien même, en voudriez vous de mon amour de seconde main ? Sûrement que vous comprendriez alors, ce que Marie quotidiennement peut ressentir. En étant lesbienne, il y a bien des jours où l’on ne se comprend pas soi même. Ca semble tellement plus simple et logique de ne pas l’être.

 

Vous partageriez ce que peut être j’ai à vous apporter. Et vous demanderiez : Mais pourquoi moi ? Comment est-ce possible ? Je ne suis pas comme cela, pas à mon âge. Je l’aurais su non ?

 

A quoi je répondrais comme tous que d’abord on aime une personne, son intériorité, son âme.. lorsque l’on aime. Après on consomme ou ne consomme pas, on tente de se fondre, se mêler ou alors on se fuit. Qu’importent le sexe, la race, la culture ou la couleur.

 

Je vous dirais aussi et pour vous rassurer, que certaines femmes aiment les femmes, quand d’autres dans toute une vie, n’en aiment qu’une seule.

 

Au terme de vous avoir dit tout cela. Comme malgré moi, je repenserais à mon Amour à moi ; là, dans un frisson, je prierais le Ciel comme l’Enfer en balbutiant : Pourvu qu’elle soit comme cela !  Pourvu qu’elle m’aime et n’aime que moi pour toute la vie ! J’ai ce sentiment de devoir en mourir si désormais elle ne m’aimait plus. Je sais, c’est très immature ce genre de songes.

 

Souvent même elle me dit : Jordan tu auras beau vieillir, en Amour, tu seras toujours aussi gamine !

 

C’est incohérent tout ce à quoi je songe là, hein ? J’en ai toute conscience.

 

Pourquoi croyez vous donc, que jamais au grand jamais, je ne vous avouerais tout cela ?

 

(Pathétique et drôle.)

Et je suis fort aise d’ailleurs, de ne pas avoir à vous dire que je suis homosexuelle..

 

La femme que j’aime a les mêmes yeux que vous, peut être est-ce là une autre façon d’expliquer ma folle inclination. Je dois être complètement confuse, confondue, manquer de sommeil.

 

L’amour est parfois fait de si peu de choses. L’amitié aussi.

 

Je vous ai vue tous les jours depuis combien de jours maintenant ?

 

Et chaque jour, chaque matin, à vous attendre j’ai senti mon cœur battre à tout rompre. J’ai senti mes boyaux se nouer aussi, transie de crainte, folle, de ce que vous ne deviniez enfin.

 

Le hasard fait bizarrement les choses non ? Me reprocherez vous à moi d’en avoir été le jouet ?

 

Si vous saviez depuis combien de mois je vous défends à corps et âme, sans même vous connaître. Oui, je vous comprends. Et souvent je me suis reprochée de ne pas culpabiliser toutes les fois où je faisais l’amour avec Marie. Mais de quoi devrions nous culpabiliser enfin ? De nous être trouvées et aimées ? Mais enfin puisque nous ne nous mentons pas, n’est il pas beaucoup plus légitime que tant d’autres notre amour ?

 

Je ne possède pas Marie, et elle ne me possède pas non plus. Je n’obéis pas à Marie et elle ne m’obéit pas non plus. Je la respecte infiniment, elle me respecte infiniment. Je n’ai jamais pensé à qui que ce soit d’autre tout en faisant l’amour avec elle. Qui peut en dire autant ? Combien d’hommes « normaux » peuvent ils prétendre être aussi sincères que moi dans la relation qu’ils ont à leur épouse légitime ?

 

Marie n’est pas ma chose. Je ne suis pas la sienne.

 

J’oublie le plus souvent qu’elle a quinze ans de moins que moi, j’oublie que nous sommes deux femmes, parce que tout simplement en moi, c’est son amante qu’elle voit.

 

En elle, c’est une femme que je vois et je ne m’en sens pas homme pour autant. Bien au contraire ! Je me sens tellement plus femme parce qu’elle m’aime. Je ne me suis jamais sentie aussi femme qu’aimée ! N’est ce pas ce qu’il y a de plus féminin au monde et depuis des millénaires ?!!

 

Nous sommes libres. Nous sommes insoumises. Je crois bien que c’est là en fait tout ce qu’on nous reproche. Dans un système inique coercitif dans lequel l’homme est seigneur et maître, malgré nos propres conditionnements d’esclaves, nous avons trouvé à être libres. Nous avons conquis des espaces, nous avons trouvé des terres nouvelles où être libres et heureuses, sans les avoir arrachées à personne. Ca doit ressembler à une leçon de morale, et c’est pour cela dans le fond qu’on nous déteste autant !

 

Ce n’est pas réellement dans notre différence qu’on nous exècre, nous ne sommes tellement pas différents de vous, nous sommes vos enfants. C’est dans notre liberté de nous aimer, dans ce que certains d’entre nous tous comptes faits ne se suicident pas et même survivent. C’est dans le fait que nous osons faire des choix et mettre en œuvre des décisions. C’est en ce qu’étant même plus faibles que vous, nous sommes plus forts, plus courageux.

 

Voyez, ils sont très peu à être courageux les parents qui viennent nous voir ! Et ceux qui le sont passent pour des fous ! Pour très peu d’entre eux l’Amour est plus fort que le qu’en dira-t-on, les habitudes.. Et très peu d’entre eux, sont prêts à aimer leurs enfants sans les comprendre. Et il n’y a rien à comprendre !

 

Il n’y a.. ni gène spécial. Ni tare spéciale. Ni traumatisme spécieux, ni influence spéciale. Il n’y a ni révélation subite, ni endoctrinement. Il n’y a pas à vous culpabiliser plus que vous ne le faites déjà pour tant de raisons et autres. Le monde est ainsi depuis que le monde est monde : les enfants trouvent toujours des reproches à faire à leurs parents, et les parents trouvent toujours à culpabiliser. Mais c’est votre problème !

 

Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est vous les hétérosexuels qui êtes ballants de toutes vos questions  à avoir un problème ! Sûrement alors vous vous diriez : Putain, elle exagère ! Ce qu’il ne faut pas entendre..

 

(Amusée.)

 

Ben ceci dit, je l’ai dit ! Hum, du coup ça va mieux, depuis le temps que j’avais envie de le dire !