nocom :


Douce nuit, faites de beaux rêves..




J'étais à peine entrée dans cette boite que déjà je regrettais. J'avais en tête les supplications de Jeannine au videur pour qu'il me laisse entrer : " Allez, soyez sympa, c'est notre copine ! " Et Natacha de surenchérir en le prenant par le bras.. C'est dégradant de se faire refouler de boite, surtout de boite à beauf pour délit de gros cul ! Et non seulement je commettais joyeusement ce délit outrageux là, mais encore celui d'être accompagnée de jeunes femmes superbes lesquelles étaient réellement mes meilleures amies, avec des espoirs communs et des moments de vie partagés, de l'amour presque.

Les gens communs ne comprennent rien à l'amour, à ce qui peut unir deux êtres qui totalement diffèrent, les gens communs sont des gouffres de vide, inaptes à saisir comment deux autres se complètent parce que débordants de vie à donner, partager, conforter, espérer.

En traînant les pieds j'avançais jusqu'à la piste. Delphine s'était ruée là dedans toute trémoussante du cul, en chaleur ou presque, sans bien se demander si je serais refoulée une fois de plus ou pas, et Frédéric déjà devait se peloter dans un coin sombre auprès de Jeannine. Natacha dansait. Elle dansait désespérément comme on danse désespérément quand on se secoue inutilement sous le nez d'un Jean-Truc lequel ne la calculait certainement pas ! C'était déprimant..

J'avais jeté un œil distraitement au bar derrière moi et je me tâtais les poches quant à savoir si j'allumerai une clope. Je n'aimais pas la musique dans ce zinc : vraiment, la boite à beaufs !

Une femme s'était approchée de moi, elle posa une main sur mon épaule. Bien sûr nous avions du mal à nous entendre et j'approchai mon visage du sien. Il s'en dégagea comme un parfum sombre. Elle portait avec mépris cet air dégingandé qui fait tout à fait pute, ce qui dans les yeux d'une femme ne m'a jamais empêchée d'entr-apercevoir la lumière. Bah, je déteste les talons aiguille, c'est plus fort que moi !

" Mon ami là au bar.. " Elle me désigna un espèce de type gras et gros qui leva son verre de whisky à ma santé tout en me détaillant de tout petits yeux ronds et vitreux. " .. Vous lui plaisez, il aimerait vous offrir un verre. " Je la regardai dans les yeux avec dépit.

" Il est timide.. "

Je secouai la tête.

" Décidemment c'est bien ma veine. Pour une fois qu'une femme superbe m'aborde, encore faut-il qu'elle pense que je suis hétéro ! Vous ne voulez pas plutôt que je vous offre un verre ? Vraiment, je n'en ai rien à faire de votre ami ! Sans méchanceté aucune.. "

Elle me dévisagea, totalement effarée, complètement surprise. Elle se détourna, je la rattrapai par le bras, avec douceur cependant.

" Et à vous ? Pour le dérangement, je ne peux vraiment pas vous offrir un verre ? "

Bien sûr, je lui assénai un sourire terrible.. Quand vous êtes moche, inutile vraiment de porter sur vous la tronche d'une fille qui en voudrait à la terre entière ! Mieux vaut au contraire tenir aux autres de solides arguments zygomatiques !! Bien entraînée, on peut assez facilement devenir irrésistible..

Troublée à première vue, elle me rendit un sourire enfin.

Elle me regardait de haut cette madame, de son air d'affirmer par provocation le fait d'avoir compté plus de passes que de jours dans sa vie, le front haut, elle portait cette espèce de noblesse due à la désillusion, de celle d'avoir gagné aussi, au prix de combien d'humiliations, nombre de combats de vie totalement hors de portée des saintes nitouches que nous sommes toutes, souvent.

Et je souris encore, c'était nécessairement contagieux..

Elle me regarda là comme la gamine que j'étais du haut de mes vingt piges narquoises, moi aussi je donnais l'air d'avoir tout vu et tout vécu, quelle prétention aussi navrante que délicieuse ! A croquer !

" Ok. Mais le Marcel va me tuer ! " Clin d'œil..

Je n'étais jamais montée dans la salle du dessus.. je ne pense pas qu'une de mes copines y soit jamais montée non plus. C'était plutôt joli, bois noir et tentures sombres, éclairage faible, canapés en cuir.

" Françoise. "

" Je m'appelle Virginie. "

" Evidemment ! "

Je fis ma vexée. " Et pourquoi " évidemment " ? "

" Quelque chose de très mal élevé et tout neuf à la fois dans ta désinvolture ! Bref, un sacré culot ! Alors jeune goudou, quelle boisson as-tu bien les moyens de m'offrir ? "

Je haussai les épaules. " Une tite bière ? Un martini ? Un margherita ? "

" Va pour le margherita ! "

Elle passa derrière le bar et nous servit elle-même. Je m'assis sur un tabouret de bar juste en face d'elle. De là, j'obtins une vue aussi surprenante que ravissante sur ses gorges profondes, douces, soyeuses, un probable paradis sur terre..

Elle surprit mon regard gourmand mais ne s'en offusqua pas, cela la fit sourire tout au contraire.

" Je fais boire les gens ici, et je leur trouve à baiser parfois aussi, et toi que fais tu donc dans ta petite vie ? Rangée je suppose ? "

" Très ! Je suis étudiante, dans cette merveilleuse toute nouvelle école négationniste, bien catho, bien comme il faut ! " Ironie mordante de ma part.. tant de claques dans la gueule aussi !

" Evidemment ! "

Elle prit ma main dans la sienne.

" Et comment tu t'y sens chez les coincés du cul ? Je ne te choque pas ? "

Sourire carnassier de ma part.

" Tel un écureuil dans un bocal ! Evidemment.. "

" Et tes copines ? "

" Quoi mes copines ? "

" Pas du tout le même genre que toi, puis tu devrais t'être lassée de leurs jérémiades toutes les semaines pour te faire entrer ici.. Il y a une boite pour gouines à deux pas d'ici.. "

Je fus surprise. " Ah bon ? Je ne le savais même pas ! "

" Ce n'est pas elles qui vont te le dire.. quoique tu y serais sûrement mieux ! "

" Pas nécessairement. Ce n'est pas dit que dans la boite à gouines je trouve plus jolie que vous ! "

En fait, nous disions n'importe quoi, semi ébriété oblige, et c'était délicieux. Parler de tout, de rien, n'importe comment, avec la sincérité nécessaire qui s'applique à tout votre corps dès lors que l'alcool agréablement, atteint les deux grammes ou peu s'en faut dans toutes vos tripes.

Elle me colla un petit bisou sur les lèvres.

" Il va falloir que je redescende. Merci pour le verre. "

" Est-ce que je vous reverrai ? "

Elle avait commencé déjà à redescendre l'escalier. Elle se tourna vers moi.

" Je suppose que comme tous les soirs depuis trois semaines, je te trouverai ainsi que tes copines sur le coup de six heures du matin un peu plus loin sur le quai, à vomir, assises dans le caniveau ? "

Je hochai la tête avec fierté. " Très certainement ! "

Elle-même me décrocha un gigantesque sourire. Elle ne devait pas s'être marrée autant depuis un petit moment.

" Alors à tout à l'heure peut être.. "

Aussitôt redescendue, je me trouvai avec Jeannine à un bras, Natacha à un autre.

" Mais où donc t'étais passée Lulu ? On s'inquiétait nous !! "

Jeannine puait l'alcool, elle avait les yeux totalement glauques, titubait, et chez elle, j'adore ça. L'ébriété d'une femme de mon point de vue, est l'un de ses abandons les plus sensuels ! J'en ressentais très régulièrement quelque chose du fin fond de mon ventre !

Natacha rigolait. " Avec qui donc est-ce que tu t'étais éclipsée ? " Je haussai les sourcils et fis des yeux ronds ! " Mais si tu savais ! "

Ah oui, si ma meilleure amie savait ! Quoique.. peut être qu'elle savait après tout, s'en doutait vertement, et que l'amour que je lui porte ne la gène pas autant que la morale catho ne veuille bien l'y contraindre ! Après tout, tant que j'étais heureuse.. et jusque là, j'étais bien trop loin de savoir comment être heureuse !!! Et pour cause..

Souvent, elle m'avait regardé elle aussi avec tellement d'amour.. Souvent.. ou plutôt parfois, déçue elle aussi de ne pouvoir me donner cette humanité que je recherchais chez elle, cette chaleur indescriptible, cet au-delà de la parfaite complicité que nous partagions.

" Ah Lulu ! " C'était un monde hein ? Tellement capable de faire péter de rire à en crever deux cent cinquante personnes tout autour, tellement brillante et tellement horriblement triste aussi. Tellement attachante qui se blottissait dans vos bras comme dans vos mots sur le coup de deux heures du matin puis qui vous racontait sa vie.. Et de la vie il y en avait, tellement, trop ! Ca vous prenait à la gorge.. vivre si peu de choses avec autant d'intensité, l'écrire avec un tel cynisme désabusé, le décrire avec autant de poésie dans un siècle qui n'en compte plus une once nulle part.

J'étais leur animal de compagnie " bizarre " à ces quatre là, leur pote de murge ! Natacha, Jeannine, Delphine, Frédéric.. J'étais cette fille aussi, pragmatique, gerbant tout son saoul à six heures du matin dans le caniveau, et les yeux brûlants à huit heures en cours d'éco..

L'intelligence ne sert à rien, pas même à réussir, puisque ce ne sont pas les gens intelligents qui réussissent, à part peut être à se tirer une balle, un jour..

A quatre heures du matin nous étions " devant ", un peu plus loin sur les quais, assis tous les quatre, les pieds dans le caniveau, les bars fermaient. Delphine s'était tirée depuis longtemps, soit qu'elle ait été retrouver Philippe son futur médecin et mari fils à papa, soit qu'elle ait accompagné un inconnu, il lui en restait vraiment très peu des inconnus, parfois elles suivait des exs.

Jeannine cherchait ses clefs de voiture fébrilement, aussi fébrile qu'elle put être dans son état. Si nous n'avions pas vécu très exactement la même nuit plus d'une centaine de fois, aucun d'entre nous ne s'en souviendrait probablement tant nous étions bourrés.

Frédéric dit : " Alors on fait quoi ? "

Jeannine répondit : " J'ai envie de cassoulet ! "

Natacha battit des mains ou presque.

Je me levai, fit deux pas, afin de ne pas trop les éclabousser.. Tout un art de gerber " propre " , c'est Frédéric qui m'avait appris, et je pratiquais mon " poser de renard " avec une précision digne d'éloges ! Pas même sur les pompes !

Frédéric dit : " Je propose que nous allions manger ça chez moi.. Avec du chocolat chaud ?! "

C'est à ce moment là que Françoise nous aborda.. ou " dans ces moments là " nous n'avions pas vraiment la notion du temps. Le lever du jour pour seul repère..

J'aurais pu m'allonger par terre les bras en croix tellement je n'en pouvais plus. Jeannine en se relevant titubait de tout son saoul, elle titubait en grognant les cheveux en pétard, elle si " nickel chrome " ! Rien que des futur cadres, de beaux jeunes diplômés tout neufs faisant baver d'envie, de jalousie, de rage, ceux qui triment bien plus que nous pour arriver à nettement moins.. J'aime la justice en ce monde ! (Ironie.)

" Excusez moi, j'ai perdu mes clefs. Est-ce que l'un d'entre vous peut m'accompagner jusqu'à la station de taxis ? "

Nous échangeâmes un long regard. Je me dressai instantanément, raide comme un " i ".

" Allez chez Choubi sans moi les filles, je vous rejoindrai, peut être.. "

Natacha haussa les sourcils, très, très surprise.. Un clin d'œil, un signe de tête et elle sut que j'allais " parfaitement bien ". Elle se leva à son tour. " Ok. A demain Lulu. "

Frédéric ne me prêta pas plus d'attention que cela, et Jeannine sans doute, demanderait " mais où est passée ma Lulu ?! " dans quelques dix minutes probablement.

Je suivis mon inconnue dans la nuit et en quinze secondes nous eûmes tourné le coin, envolées, parties très loin de ces mondes réels. Nous enfilâmes une traboule, elle saisit ma main et pour toute réponse je la plaquais de tout mon corps contre un mur. De manière indéfectible, j'épousais son corps du mien totalement, et fébrilement, nos lèvres s'entreprirent.

Je goûtai à sa bouche dans une ivresse comparable à nulle autre.

Je reniflai son cou.

Mes mains la parcouraient, la découvraient, rapides, précises, inlassables. Elle se contorsionnait, se tordait, me fuyait, en m'en rendait tout autant.

Je me souviens de tous ces instants comme par flashes.

Je me revois la parcourir timidement du bout de la langue et putain de D ieu que ses seins sont beaux !!

Je me revois plus brutale aussi entreprendre son entrejambe, plonger et replonger les mains à son désir tout en dévorant chaque centimètre de sa peau et m'en emplir, goût, parfum, texture, douceur..

Je nous revois l'une et l'autre mêlant nos jambes, nos bouches, nos langues, nos mains, nos bras, nues parfaitement dans la ruelle, tant que le monde n'existait pas. Il dort le monde.

J'ai le souvenir dans tout mon corps du parfum de sa peau, du goût acre de nos sueurs mêlées, de ses liquides, des miens, de la frénésie qui nous mêlait.. de caresses toute douces et plus lentes aussi.

Je me souviens de ce qu'elle jouait en virtuose de mon désir, de chaque instant où j'ai pu avoir envie de hurler, et de chaque gémissement presque, lesquels m'échappaient sans que je n'y puisse rien.

Je me souviens de cette folie qui nous mêlait lorsqu'elle eut succédé à l'ivresse, sans rien subtiliser pour autant au désir, au contraire.. La fusion devenait plus totale peut être au fur et à mesure de ce que nos sens sortaient de leur torpeur éthylique. Ivres de nous-mêmes désormais. De nos solitudes partagées, de nos âmes dans nos corps et nos orgasmes mêlées.

Cette nuit-là..

La première de mes nuits, le premier de mes jours.. Ereintées, épuisées, altérées mais pour très peu de temps, je me sentis vivante comme jamais. Vivante pour la première fois ? Bah, peut être pas. J'ai souvent eu cette impression que la première nuit avec une femme est unique, intemporelle, indescriptible, irremplaçable.

Puis les femmes se suivent, les nuits se répètent.. Aujourd'hui c'est peut être le mystère des quais, rues et traboules de Lyon qui enlève au piment d'une aventure partagée sous un porche tandis que l'aube se lève.

J'ai le souvenir parfait lui en revanche, des ponts sur la Saône, et de Fourvière illuminée, la Sainte Vierge nous contemple, et que c'est bon elle aussi, de la baiser !

Ce n'est pas que je lui en veuille personnellement ceci dit.. mais en trois ans de sup de co je n'ai tellement jamais pu hurler que j'étais lesbienne ! Et Jeannine m'en a tellement voulue d'apprendre dans la foulée que j'étais juive et lesbienne.. plus de ce que je sois juive d'ailleurs.

Quant, à Natacha, bah ça l'a fait sourire.. une claque amicale dans le dos, un sourire et de me dire : " bah, tes poèmes sont beaux quand même ! "

Il me semble tellement évident aujourd'hui qu'il est aussi simple que cela d'aimer une femme.. toutes les femmes.

En me réveillant ce matin là j'avais mal aux cervicales. Coup d'œil à ma montre : " Merde, huit heures déjà ! "

Je me suis levée, j'étais sur le carrelage de la salle de bains de Frédéric. J'avais dormi les bras en croix. Comme quoi, raciste vraiment je ne le suis pas.

Choubi, Jeannine et Natacha étaient attablés dans la petite cuisine de son studio, les reliefs de leur cassoulet épars. En m'apercevant, " le Choubiquounet de ces dames " éclata de rire.

" Vraiment Lulu, jamais je n'aurais imaginé que quelqu'un s'endorme sur le carrelage de ma salle de bains ! Bien dormi ? "

Je me frottai les yeux. " Nickel ! "

navig :p

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