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Souvenirs Sarah K.
Ils ne nous aiment tellement pas.. virgi
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Jouer et rire.. Orlanda































































































Sarah K. :


Souvenirs.


Léa est assise sur le banc près de la fontaine. A ses cotés, une petite fille avec les cheveux blonds comme les blés.

Elle se souvient de son adolescence.

Quand tous les ans, elle venait passer ses vacances chez sa grand-mère, et cela depuis qu'elle avait 12 ans. Les premières années furent les pires de sa vie. Elle en voulait à la terre entière de devoir quitter sa capitale pour aller se perdre à la campagne ou rien ne l'intéressait.



Puis, les années passants, Léa avait fini par attendre ses vacances presque avec impatience. Sa bande de copains était là, eux aussi, eux à qui on pouvait tout raconter, eux avec qui on pouvait tout faire, tout voir, tout vivre.

Cette année là avait été particulièrement dure. Le divorce de ses parents, auquel Léa ne s'attendait pas, l'avait anéanti. Le départ de son père, presque précipité, le déménagement dans un autre quartier, un nouveau lycée, de nouveaux professeurs et bien sur lâcher tous ses amis pour aller s'en créer d'autres alors qu'elle n'en avait pas envie. Au fil du temps, Léa avait perdu sa joie de vivre, son sourire avait disparu pour laisser place à un regard maussade et froid.

Alors devoir revoir tout le monde et se remémorer les étapes de l'année écoulée, franchement, c'était trop pour elle. Léa avait supplié sa mère de rester à Londres, mais c'était impossible ; c'était pour elle le mois le plus chargé de l'année, elle n'aurait pas le temps de s'occuper de sa fille et elle ne voulait pas la laisser seule après tout cela.



Benjamin, Jérémy, William, July, tout le monde est là. Première réunion sur la place près de la fontaine pour de nouveau fou rire, mais Léa n'en a pas le cœur, elle laisse traîner sa mauvaise humeur et même si ses amis essayent de lui soutirer un sourire, rien n'y fait.

Un soir, July nous annonce alors que l'on doit rentrer que sa cousine vient passer le reste de l'été avec nous. Puis sans en dire plus, elle nous laisse là. C'est July, ne jamais dire la fin de ses phrases ni même de ses mots.

D'après ce que July a compris, sa cousine avait passé l'année dans un centre pour jeunes en difficultés, sans chercher à en savoir plus. Puis il faut dire qu'elle s'en moque un peu, c'est à peine si elle se souvient de son prénom.

Sa cousine, elle la voit une fois par an, à la grande réunion de famille à laquelle tout le monde est convié, il est impossible d'y échapper.

Les jours passent, le temps défile à tout allure, la moitié des vacances est déjà fini sans que l'on n'est eu le temps de s'en rendre compte.

La cousine de July est là depuis une dizaine de jours maintenant, mais nous ne l'avons toujours pas vu, peut être n'a t- elle pas envie de nous voir ou tout simplement July ne le lui a pas proposé.

Un matin où je vais chercher July pour aller au marché, c'est elle qui m'ouvre la porte.

Je ressens une drôle d'impression, mon cœur s'accélère à sa vue, je me sens mal, un drôle de sentiment, quelque chose d'inexplicable se produit.

Je met ça sur le compte de la surprise, je m'attendais à voir July et non sa cousine.

Ma copine arrive et la bouscule pour sortir, la porte se referme sur nos pas, July me lance :

-" au fait, c'est Déborah, ma cousine, elle est bizarre tu trouves pas ? "

Je ne trouve pas finalement pour le peu que je l'ai vue.


Je n'arrive pas à savoir ce que je veux, July me traîne pour que l'on choisisse sur les étalages les plus beaux fruits, les légumes qui parfumeront nos assiettes.

Ma tête ne pense qu'à une chose ou plutôt dois-je dire à une personne, Déborah. Son prénom, si doux, résonne en moi, je ne saisis pas, je l 'ai à peine vu et lui ai encore moins parlé, alors pourquoi ?

Que se passe t-il ?

Les jours passent, je me lasse de nos jeux qui n'en finissent pas, toujours les mêmes refrains, les mêmes chansons que l'on chante à tue-tête.

Un beau matin, July arrive comme une fusée et l'air de mauvaise humeur.

La raison toute simple est sa cousine qui est derrière elle. Moi, j'en suis ravie.

Je la regarde longuement, quand son regard croise le mien, je me sens rougir, je me détourne pour ne pas montrer mon air gêné.


Nous décidons d'aller prés du lac pour se baigner, il fait particulièrement chaud, et l'eau est très agréable. Déborah nous suit, un peu à la traîne, l'air ailleurs. J'aimerai ralentir pour être à sa hauteur, pouvoir engager la conversation, mais je suis paralysé là, impossible de faire quoique ce soit.

Les garçons sont déjà dans l'eau, July se déshabille et je m'apprête à en faire autant, je regarde Déborah et lui demande si elle vient. Elle me fait signe de la tête que non, je suis déçue, et file dans l'eau pour apaiser cette sensation étrange dans le bas du ventre qui ne m'a pas quittée depuis que Déborah nous a rejoints. Quelques jeux dans l'eau, de fou rire en rigolade, l'après midi passe doucement. Les garçons sont partis chercher le goûter, July est sortie de l'eau et profite des rayons du soleil, je suis seule au milieu de cette étendue d'eau. Je me sens toute petite, comme immergé dans le souvenir de cette année, je sens le vague à l'âme m'envahir puis la chaleur d'un corps contre le mien me tire de ma mélancolie.

" Pourquoi cette tristesse dans d'aussi jolis yeux ? "

Déborah est prêt de moi, je sens ses bras m'enlacer, j'ai l'impression d'être transportée, je lui fais face, le reflet de l'eau dans ses yeux la rend encore plus belle. J'ose un baiser sur ses lèvres, c'est si doux que je ne veux plus bouger. J'ouvre les yeux, Déborah a disparu me laissant seule au milieu de cette eau que je trouve subitement glaciale. Je la rejoins près de sa serviette, son regard n'est plus aussi doux, son regard vers moi me transperce de froideur, je ne comprends pas.

Les jours passent, Déborah est toujours avec nous mais aucune parole ne sort de sa bouche, comme si elle avait perdu sa voix. Je décide de faire quelque chose, je ne veux pas rester dans le doute, j'ai l'impression d'avoir rêver l'autre jour. Sur le chemin du retour, je ralentis le pas pour me retrouver à sa hauteur. Elle me regarde et me dit : " pas maintenant, rejoins moi ce soir près de la fontaine ".

Elle n'est pas encore là, le temps passe, je pense qu'elle ne viendra plus. Je vais rentrer chez moi quand j'entends au loin " non ! Ne pars pas ! "

Déborah était là depuis un moment à m'observer. Je suis furieuse.

" Je veux que ce qui s'est passé l'autre jour dans le lac reste entre nous. Si j'ai passé l'année au centre, c'est à cause de cela. Mes parents veulent me guérir de quelque chose d'inguérissable.

L'amour ! L'amour envers les autres filles. Je ne veux plus y retourner. J'ai dit à mes parents que j'étais rétablie, que cela ne se reproduirai plus ".

Je la regarde, ses airs enfantin contrastent avec son air sûr d'elle et parfois me fait frissonner. Tout ce que je ressens est nouveau et tout cela me fait peur, surtout par rapport à ce qu'elle dit par rapport à sa famille. N'y a-t-il pas plus beau sentiment que l'amour, mais si celui-ci doit faire souffrir alors pourquoi vivre puisqu'un jour ou l'autre l'amour passe dans notre vie. Nous ne sommes pas fait pour vivre sans sentiment, sans amour et tout ce que cela implique.

Serai-je assez forte pour supporter cela, pour que le regard des autres posé sur moi ne me soit pas lourd. Aurai-je assez de cran pour affronter mes parents, les êtres qui me sont chers. Autant de questions qui résonnent en moi alors que je n'ai qu'une envie, c'est de l'embrasser encore. Je crois me sentir mal, tout tourne autour de moi, j'ai froid.

Mes yeux se remplissent de larmes, je ne veux pas la quitter, je ne veux pas la perdre. Même si je dois me battre du haut de mes 16ans, je le ferai pour moi, pour elle. On partira, on ira loin, loin de tout ceux qui nous veulent du mal, loin de ceux qui nous interdisent de nous aimer.

Déborah pose alors les yeux sur moi et me dit que cela ne sert à rien, que ce sont eux les plus fort et qu'il n'existe pas d'endroit où nous serons en paix.


Les vacances se sont achevées, la tristesse du début a repris le dessus, plus pour les mêmes raisons, mais le sourire a disparu à nouveau.

Retour à Londres où le quotidien m'attend, mais avec un autre regard.

A cet instant, j'ai su que je ne pourrai jamais être qui je suis, que je devrais refouler au plus profond de moi ma vraie nature, que peut-être un jour, quand les années auront passé, quand le monde aura grandi, alors peut-être un jour nous pourrons vivre au grand jour.


Les années se sont écoulées paisiblement, Léa a épousé William et chaque année, comme avant, ils reviennent à la campagne. Cette année, William a été retenu pour ses affaires et Léa est venue avec leur fille. Déborah !

Léa aimait venir dans la maison de sa grand-mère, seize ans se sont écoulés rien n'avait changé, Léa avait arrangé la petite maison à son goût, mais le village était le même.



Comme chaque Dimanche, c'est le marché et j'aime emmener ma fille découvrir les senteurs qui embelliront nos assiettes, comme je le faisais jadis avec July. July ! Qu'est-elle devenue ! Nos chemins se séparés lorsqu'elle est partie étudier à l'étranger, nous avons correspondu un temps, puis celui-ci passant et une chose en emmenant une autre, la distance n'arrangeant rien, nous nous sommes perdue de vue.

Benjamin est à Londres quant à Jeremy, lui est parti en France suivre son amour.

On parcourait le marché, quand je senti l'odeur enivrante d'un parfum que je connaissais, je n'arrivais pas à remettre un nom dessus, ni même un endroit où j'avais pu le sentir mais c'était un peu comme " suivez-moi mademoiselle ".

J'aime cette odeur, cette fraîcheur dans l'étouffante chaleur de l'été.

Un dernier stand pour acheter les fruits, je tourne la tête pour voir où est Déborah, et c'est alors que mon regard croise celui d'une femme à la chevelure étincelante, des yeux magnifiques avec le reflet du soleil, je me sens défaillir, ce regard je le connais pour l'avoir déjà croisé, pour en être tombée amoureuse 16 ans auparavant. Déborah, elle, est là, juste devant moi. Après cet été là, je ne l'avais jamais revu, jamais eu aucune nouvelle comme si elle s'était évaporée avec le temps qui passe. Je dois partir, c'est insoutenable, je ne veux pas la voir, pas après tout ce mal ressenti après ce baiser échangé.

Je prends ma fille dans mes bras et pars vers la maison, je me sens suivi, je marche plus vite, quand j'entends sa voix. Ce timbre de voix suave, doux. " Non ! Attends ! ". Nous sommes à la hauteur de la fontaine, je pose ma fille et m'assoie sur le bord. Elle vient près de moi et entame la conversation, parle d'elle, encore et encore, sa vie, son boulot, ses amours. C'en est trop, je ne veux pas entendre parler des femmes qu'elle a aimé alors que je n'ai pas su faire front, que j 'ai du, moi, faire une croix la dessus. Elle me parle du temps que les choses changent, qu'elle s'efforce ne plus prêter attention aux autres, qu'elle vie pour elle, et non plus comme les autres le veulent. Je ressens encore ses sensations que je n'avais pas su interpréter lors de mon adolescence, puis elle se tait, me regarde, se lève et me lance avec son regard de feu " rejoins-moi ce soir ! Ici ! ".


La journée passe avec le doute, sans savoir quoi faire. Ne pas aller la voir alors que j'en meurs d'envie, y aller et avoir peur des conséquences.

Toute la journée les mêmes questions et les mêmes doutes me taraudent. Et cette irrésistible envie.

Le soleil se couche, je décide de la rejoindre. Je n'ai plus 16 ans, je peux faire face, je sais ce que je veux et je veux le faire. C'est décidé.

Je suis maintenant près d'elle et je perd tous mes moyens, je ne vois qu'elle, je ne veux plus qu'elle, qu'elle pose encore ses lèvres sur les miennes, ressentir cette douceur.

Je ferme les yeux un instant pour reprendre mes esprits, sa peau frôle la mienne, je me sens frissonner, la chair de poule a envahie mon corps, une sensation de chaud et de froid, nos regards qui en dise long, puis sa main prends la mienne et m'emmène chez elle. Sans rien dire, elle m'entraîne dans le salon, le sofa nous offre son confort. Nous nous sommes aimée toute la nuit. Au petit matin, lorsque j'ouvre mes yeux sur elle, je sais. Je sais que ma vie est à ses cotés, mais que j'ai aussi une vie, ailleurs, qui m'attends ; une fille et un mari que je ne peux laisser. La peur m'envahie, le doute, le déchirement, je dois partir retrouver les miens avant qu'elle ne se réveille. Je rassemble mes affaires éparpillées dans la pièce, dépose un baiser délicat sur ses lèvres et part doucement sans claquer la porte.


Parfois, j'imagine ma vie auprès d'elle, si j'avais osé, si j'avais enfin pris mes responsabilités, mais je chasse très vite ses pensées trop pénibles.

Aujourd'hui je suis seule. William est parti un beau matin avec une autre femme, ma fille a 16ans et vient de me présenter sa petite amie.








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virgi :


Ils ne nous aiment tellement pas !




Sandrine referma la boite aux lettres. Elle commença à trier le paquet d'enveloppes tout en jetant furtivement quelques coups d'œil angoissés à la rue en contrebas. Son visage en disait long ! Factures, prospectus, amie de longue date et.. lettre de l'avocat de son mari : les dernières conclusions rapport à la procédure de divorce. Elle l'ouvrit immédiatement.

Long soupir, lassitude. Philippe lui réclamait mille deux cent euros de loyer pour la maison, sa maison, autant dire qu'il les fichait dehors elle, et leurs enfants. Elle se passa une main furtive dans les cheveux, un tic. Bon, il fallait qu'elle parle, encore et encore avec Philippe, les choses pouvaient s'arranger.

Elle habitait une jolie demeure datant de la période arts déco, dans une petite rue bourgeoise et néanmoins calme de la ville. La maison avait appartenu à la mère de Philippe, une baronne. Cette maison avait vu naître et grandir leurs enfants, William et Cathy. " Dix ans de mariage pour en arriver là, se dit-elle encore, une fois de plus ! "

Son humeur n'était pas à la morosité ceci dit, par cette douce après-midi d'automne, au contraire, elle se sentait presque sereine. Les enfants dormaient chez sa mère, un peu de répit donc, un peu.

Histoire de changer, elle décida d'entrer chez elle par le jardin. Les dépendances comprenaient une large pelouse, quelques massifs proprement taillés, un cerisier, étrange même vu la région, à l'ombre duquel il faisait bon de s'asseoir, et de souffler un petit peu. Or souffler, c'est le mot, elle en avait besoin.

Arrivée dans la cuisine, elle se servit un verre de vin, en prit une gorgée. Au terme d'une journée de travail assez peu valorisante, c'était un réconfort. Elle était " assistante " à l'université, bref, elle corrigeait des copies, à n'en plus finir.. C'était la femme de l'ombre ou presque, celle à laquelle étudiants et étudiantes venaient réclamer à corps et à cris, rarement respectueux, des quarts de demi points en plus rapport à leur génie créatif en mal de reconnaissance !! " Un peu de dialogue.. non ? " " Non ! " Juste des cris !

A quoi donc pouvait bien lui servir d'être aussi honnête en ce cas ? C'était à se demander, et à se redemander toujours.. Elle avait des valeurs, elle y tenait, elle était même très conformiste, un peu par faiblesse elle en était consciente, par éducation, par obligations éminemment " sociales ".

Une lettre de Laurence donc. Des amies, elle en avait des dizaines, et en avait laissé, au cours de sa vie, aux quatre coins de la Terre. Ceci dit elle leur était restée fidèle, toujours. Laurence. Laurence, c'était un peu " spécial ". C'était sa meilleure amie, mariée très jeune elle aussi. Elles avaient grandi ensemble, partagé l'adolescence, des rires, des fous rires, des espoirs, des larmes.. Il y avait même eu " cette fameuse nuit-là ". Comment ne pas y repenser ? Et, dans sa solitude de femme en instance de divorce, comme malgré elle, elle n'y repensait que trop souvent ces derniers temps.

En voulait-elle à Philippe de l'avoir ainsi quittée ? Pour ainsi dire, il était parti sans explications, l'abandonnant à ses doutes, aux difficultés qu'il y a à élever seule malgré tout deux enfants, et à ses regrets, quelques regrets..

Aurait-il pu se passer quelque chose d'autre entre Laurence et elle ? Quelque chose de plus ? Elle se sentit rougir, et les yeux ronds, chassa cette idée de son esprit ! Ah ça pour du non conventionnel !! Autant arrêter tout de suite de boire du vin ! Elle reposa son verre.

Elle ouvrit la facture de son fournisseur d'accès internet. " L'adsl ? Mais pourquoi faire ? Pour ce que je l'utilise moi, internet ! Puis de toutes façons je l'ai au bureau.. Il faut que je pense à l'annuler, des papiers, encore des papiers ! "

Elle ouvrit la porte de son frigo, puis la referma. Vide ou presque. " Je n'ai pas faim tous comptes faits. "

Un sourire un rien coquin se dessina sur son visage. Mue par une sorte de curiosité espiègle, elle descendit le petit escalier de la cuisine vers son bureau, elle alluma l'ordi. Elle s'assit, avec comme un regret de ne pas avoir pris avec elle finalement son verre de vin, bah, elle remonterait le chercher !

Dans la barre d'internet explorer elle tapa, du bout des doigts et en tremblant, elle jeta même un petit coup d'œil rapide derrière elle : " homo ".

Articles de presse. Essentiellement. Homophobie, homosexualité, homoparentalité, rencontres.. Elle lut. Elle en eut froid dans le dos : agressions, physiques, verbales, condamnations majeures, polémiques, rejet, exclusion, désinformation.. comme d'hab en fait ! Elle n'était tellement pas comme cela, elle. Elle était ouverte d'esprit, et pas seulement s'agissant des amours " peu conventionnelles ". Elle était curieuse, ouverte au monde, à l'humanité, à ses recherches, à ses espoirs.. bien décevant tout cela !

Elle pensa un instant à sa mère : si rigide et si rigoriste ! Cette femme vous montrait tellement bien du doigt ! Pourquoi lui ressemblait-elle aussi peu, tiens ?!

Au fur et à mesure de son surf, toute polyglotte qu'elle était, un nom de site l'interpella : Dykeplanet. Elle cliqua sur l'url, puis sur la rubrique " entre vous ", puis sur le " tchat ". Elle y entra sous le pseudo de féline : " Boh, allez, pourquoi pas ? " C'était un petit surnom qu'elle avait eu déjà, l'occasion de porter en d'autres circonstances. Cette seule évocation la fit sourire. Sandrine !

***********

Andy jeta encore un coup d'œil au miroir : son image ne lui déplaisait pas ! Il se passa du gel dans les cheveux. Blonds, courts les cheveux, trop courts, et ses copains les avaient encore plus courts que lui. Il avait les sourcils épais, bien dessinés, réguliers, et des yeux bleus intenses, immenses, mais son regard était souvent absent.

Il descendit dans la rue et son portable sonnait déjà lorsqu'il aperçut Pierre, Manu et François. Tout en lisant son sms il les rejoignit. " C'était Thierry, il nous rejoint au Flamme's. "

Le Flamme's était une de ces immenses brasseries, que l'on trouve par dizaines dans toutes les villes d'Alsace, et dont une spécialité est la tarte flambée : pâte fine, fromage blanc, lardons, avec ou sans oignons, avec ou sans gruyère, gratinée, et hop, dans le four à bois ! Une odeur lourde, quasi rassasiante à elle toute seule. On vous les apporte à volonté jusqu'à plus faim.. Là-dessus, les cinq garçons burent une quantité de bocs de bière non moins impressionnante.

Ils passèrent cette soirée là à rire, grassement, de tout, de rien, mais surtout, de rien de vraiment intéressant. Andy lui-même ne se trouvait jamais rien à dire, ou à redire, vis-à-vis d'un garçon comme Thierry par exemple, qui était un peu le chef de bande. Andy était plongeur, Thierry travaillait à la mairie, dans le cabinet du maire, un autre travaillait au supermarché, un autre dans un garage, François ne faisait rien, tous vivaient chez leurs parents.

Ce samedi soir là était un moment sinon privilégié du moins complice. Ils se rendirent en boite, deux heures, puis dans un bar, puis un autre.

Au terme de ce nième verre de tequila frappée qui n'excuse rien, dans les rues, le long du canal où des péniches discothèques étaient amarrées, implicitement, ils partirent en chasse. Cinq garçons grands, à l'allure sportive, athlétique ou presque, et une petite brioche de bière sur le ventre. A part Andy, Andy qui veillait à sa ligne plus qu'à sa vie. Il était habillé aussi " comme un pd " : des vêtements à la mode, très soignés, très tendance, toute sa paye y passait régulièrement et plus encore. Il avait néanmoins lui aussi, ce besoin crucial d'exprimer une certaine " virilité ".

" On va où les mecs, demanda timidement François ? " Les yeux d'Andy brillaient, amusés, excités. Ceux de Thierry étaient sombres. Manu eut un regard cynique, large, ouvert sur une très belle et brillante mâchoire. " On va casser du pd ! Tu ne viens pas ? " Le garçon haussa les épaules. " Ben tiens non, je ne viens pas ! Les pds je ne les aime pas, mais j'ai quand même vachement mieux à foutre ! Salut les mecs, bonne soirée, à demain ! "

Ils le regardèrent s'éloigner. Manu éclata sur ce d'un rire quasi inextinguible, qui devint contagieux, jusqu'à s'éteindre dans un ricanement franchement idiot. " Il a du en repérer une, hein, tout à l'heure dans la boite ? " Andy grogna. " Ben il a de la chance, alors ce con ! " Les trois autres s'esclaffèrent, encore.

Adossés à un mur dans un coin d'ombre, Thierry désigna deux hommes. Manu cria, une très belle voix de ténor, saisissante. " On en tient deux ! " Les garçons se précipitèrent en courant, malhabile, une digestion un rien difficile peut-être, Pierre trébucha puis s'étala de tout son long. " Meerde ! " Andy s'arrêta, puis Thierry aussi. Les deux autres en profitèrent pour filer, de justesse.

" Putain, je dois être rond comme une queue, je rentre aussi ! " Manu, Thierry et Andy s'entre regardèrent. " Ben pas nous ! Ce soir on s'en fait un ! " " Ou une ? " Manu souriait, amusé, les yeux pétillants. Thierry sourit aussi. Il hocha la tête. " Tiens, mais pourquoi pas ? Toi qui les a pleines Andy, si on allait s'amuser ? " Andy sourit aussi, plus timidement. Il en rougit presque. " Vous avez de ces idées les mecs ! " Mais son visage était plutôt au contentement. Thierry lui fit un clin d'œil. " Je sais où on va aller ! " Ils le suivirent, le dos droit, mains dans les poches.

Pendant près d'une demi heure, de loin en loin, à travers les petites ruelles, piétonnes, très pittoresques de la ville, ils suivirent deux filles qui se tenaient par la main. Elles auraient pu n'être que des amies..

Elles s'arrêtèrent en bas d'une bâtisse, de hauteur moyenne, assez vieille, aux couleurs vives que reflétait agréablement l'éclairage de ville, avec quelques poutres apparentes sous les toits, des colombages.

L'une d'elle posa un furtif baiser sur la bouche de sa copine, laquelle lui avait lâché la main. " Tu es sûre que tu ne veux pas que je monte ? Je sais rester à ma place, tu sais ? Je ne vais pas te sauter dessus.. " Pour toute réponse la seconde lui caressa une demi seconde la joue. " N'insiste pas, je t'en pries. Je sais que tu ne vas pas me sauter dessus. " Elle lui sourit, affectueusement. Puis soupira. " Mais je te l'ai dit, c'est encore trop tôt. Je ne sais pas où j'en suis, ou pas vraiment. J'aime encore trop Fanny pour décider que c'est fini, malgré ce qu'elle a fait, ou dit, ou refusé de me dire. Et tu me connais, cet espoir, chez moi, il est indécrottable.. "

Elle rit. Elle avait un regard presque heureux. " Oui, ça je commence à te connaître ! Toi et tes rêves.. Je t'aime ma rêveuse. " " Moi aussi tu sais. " Elle lui fit un clin d'œil. " Mais peut être pas de cet amour là. Ou pas encore.. " L'autre acquiesça. " Bonne nuit. " Elle posa un bisou sur sa main et la lui posa sur la bouche. " Bonne nuit à toi aussi. " Elle rentra.

Les trois garçons avaient observé la scène, appuyés résolument contre le mur de façade, au coin de la rue, en vis-à-vis. A ce moment là Andy fit le tour du pâté de maison de façon à pouvoir lui couper le passage au croisement un peu plus loin. Manu et Thierry commencèrent à la suivre avec détermination, elle accéléra le pas. Ceci dit, ils n'eurent aucun mal à la rattraper.

" Alors goudou, t'as pas eu ta petite moule ce soir ? On pourrait peut être t'aider tu sais, ya d'autres choses vachement bonnes dans la vie ! " Manu éclata de rire. " Tu veux peut-être qu'on te montre, ajouta Thierry ? " Elle eut un frisson ostensible dans le dos, une sueur moite commença à perler. Elle ne se démonta pourtant pas. " Laissez moi les mecs, vous avez trop bu ce soir ! "

Thierry la saisit par le poignet en lui tordant le bras. Elle poussa un cri. " Meuh non, on n'a pas bu ! Presque rien ! Dis donc c'est qu'elle est sacrément jolie pour une gouine, hein ? Qu'est-ce que t'en dis Manu ? " Il l'avait saisie à bras le corps. Elle se débattit, le souffle coupé. " J'en dis que ce serait dommage, hein, qu'elle n'apprenne pas les choses de la vie ! " Thierry éclata de rire. La fille était rouge, elle aurait voulu hurler, elle n'y arrivait pas ! Manu s'escrimait à essayer de lui enlever son jeans mais il n'y arrivait pas. Elle parvint à lui décocher un coup de pied en pleine figure, il lui rendit une baffe. " Merde, la salope, je crois qu'elle m'a pété le nez !! "

" Ben on va lui apprendre à baiser alors, et bien comme il faut. " Ce disant les deux garçons avaient réussi à l'emmener dans un coin sombre. Elle jeta un regard désespéré tout autour d'elle, les volets étaient fermés. Partout. Un couple en était venu à passer qui avait accéléré le pas. Andy les rejoignit à ce moment là. " Alors les mecs, elle est baisable cette fille ? " " Tu parles d'une fille, répondit Manu, une salope oui, elle m'a esquinté la gueule. " " Allez, viens voir ça de près, dit Thierry en rigolant, tu vas nous dire, toi l'expert en pétasses ! " Andy ne parut pas apprécier ce dernier trait d'humour, trop évocateur peut -être, relativement à l'une de ses dernières, et trop brèves, liaisons.

Il s'approcha, blême. " Thierry, je crois finalement que tu vas la lâcher. " " Pardon ? " Andy devint rouge de rage et vociféra comme jamais ! " Je te dis que tu vas la lâcher putain, sinon je te pète la gueule !!! " Il la lâcha. Elle s'effondra. Il se tourna vers lui avec un air de défi. " C'est à moi que tu parles ? T'es sûr ? " Il le regardait très méchamment, dévorant. Andy esquissa un faible sourire. " Arrêtez de déconner les mecs, c'est ma sœur. " Manu et Thierry se regardèrent, interdits. Ce dernier eut la tentation de frapper Andy à toutes volées. Manu, très prompt, retint son poing. " Allez, viens, on laisse tomber. " Puis, se tournant vers Andy, il cracha par terre. " Pd ! " Les deux garçons s'éloignèrent.

Avec douceur, il s'accroupit à côté d'elle et lui caressa les cheveux. " Ça va aller ? " Elle eut un geste de dédain, le repoussa. Il la prit dans ses bras et l'aida à se relever. " Allez viens, je t'emmène à l'hosto. "

Durant tout le trajet ils ne s'adressèrent pas un mot. Aux admissions, sans rien dire non plus, il se montra très prévenant, lui apporta à boire, devançant chacun de ses désirs, pour peu qu'elle en eut encore.. " Tu veux que je prévienne ta copine ? " Elle secoua la tête. Il trépigna impatiemment devant la porte durant la consultation.

Un médecin sortit enfin. " Alors ? " " C'est votre petite amie ? " " C'est ma sœur ! " Le médecin parut indécis. " C'est arrivé comment ? " " Bagarre de rue. " Il hocha la tête. " Trois côtes de cassées et quelques hématomes. Nous allons la garder pour la nuit. " " Je peux rester ? " Le médecin jeta un œil à sa montre." Il y a un fauteuil dans sa chambre, laissez-la dormir. " Une fois installé, il s'endormit rapidement.

Nina ouvrit enfin les yeux. Elle grimaça. Elle avait mal, très mal. Elle jeta un œil à ce garçon endormi, sans conviction. Elle prit avec difficulté le bouton de la sonnette et appela. Une aide soignante ne tarda pas à venir. Elle avait un visage d'ange.

" Ça va ? " Elle lui sourit faiblement. " Oh non ça ne va pas, j'ai mal ! " " Je vais voir si je peux encore vous donner quelque chose, je reviens tout de suite. " De fait, elle revint quelques minutes plus tard avec du paracétamol. Nina l'avala, sans conviction.

" Vous avez prévenu votre famille ? " Nina lui répondit par une moue assez étrange. " Je n'ai plus vraiment de famille.. " L'aide soignante hocha la tête. " Je comprends. Y a-t-il néanmoins quelqu'un que vous auriez aimé que je prévienne ? "

Nina eut un petit peu de mal à soutenir son regard pour lui répondre, elle rosit presque. " Oui, il y a une chose que j'aimerais vous demander, mais je ne sais pas.. " La jeune femme sourit. " Dites toujours. " " J'ai cru voir, très rapidement, tout à l'heure, en passant, que vous étiez connectée à internet.. " La jeune femme eut un rire silencieux, complice.. " " Chiche ? " Nina rit à son tour, et aïe, qu'est ce que ça pouvait faire mal ! " Je vais vous donner l'url.. "

Andy était parti vers sept heures, en lui posant un rapide baiser sur le front. Elle était restée seule. Il devait être neuf heures maintenant. La température, le lit à refaire.. tout ce monde-là était passé. Elle devait revoir le médecin vers onze heures, puis après elle pourrait partir. On frappa discrètement à sa porte.

" Oui ? " Une jeune femme, la trentaine environ, un mètre soixante dix sept, d'une beauté et d'une féminité impressionnantes entra, timidement. Elles se regardèrent en rougissant. " Féline ? " Elle acquiesça. " Je m'appelle Sandrine. " " Ben moi, c'est Nina, juste Nina. "

Sandrine approcha la chaise et s'assit près d'elle. " Je suis désolée, à cette heure-là je n'ai pas trouvé de fleurs.. " Nina sourit. " C'est gentil.. Douce attention. " Sandrine eut un sourire presque gêné. " Ça fait bizarre, hein, de voir en vrai quelqu'un de virtuel ? " " Oui.. très bizarre. " " D'un autre côté, après avoir parlé autant et autant sur le tchat toutes ces nuits, j'ai comme l'impression qu'une certaine complicité est toujours là. " Nina lui prit un instant la main puis la lâcha. " J'ai cette impression aussi. "

Sandrine se racla un peu la gorge. " Je me disais.. ceci dit j'ai conscience que c'est très prématuré comme proposition.. je me disais que tu aurais besoin de repos, d'une période de convalescence même.. alors, ben, si ça te dit, j'habite une grande maison, avec un joli jardin, dans une petite ville tranquille.. " Nina lui sourit, heureuse, soulagée, visiblement. Elle lui posa une main sur la joue. " C'est très, très prématuré, répondit-elle. " Puis elle l'embrassa.

Sandrine lui rendit ce premier baiser avec une avidité dont elle se fichait bien après tout.. " ils peuvent bien penser ce qu'ils veulent, ils ne nous aiment, tellement pas ! "
























Daredevil :


Ma dernière histoire d'amour..




Chacun son/ses histoire(s)..

Quand je dis que je suis homo, bon ça, même le gaydar le moins performant tilte et confirme sans problème.. quand en revanche j'annonce que j'ai fait cinq ans de théologie dont trois comme prof, ça surprend, ce n'est pas tous les jours et même qu'on m'a dit de ne pas le mettre sur mon CV.. Enfin, quand j'annonce que j'ai un passif hétéro tout ce qu'il y a de pesant.. ben là on comprend plus trop, je passe assez vite pour la fille qui cherche à accumuler les complications. Ben même pas. C'est historique on va dire, histoire perso, on en a toutes des histoires..

Quand j'étais gosse, j'habitais " l'Alsace de chez les fous " comme on dit ici, à Stras. Et, plus d'une fois je suis rentrée après m'être fait péter le gueule bien comme il faut, séjours à l'hosto fréquents, de là peut être mon goût immodéré des infirmières :-p

A l'école, au collège, après les parents d'élève genre ce débile qui un jour m'a coincée contre une grille avec sa bagnole.. je me suis trouvée nez à nez avec ces profs, lesquels me regardaient et me considéraient tel un immondice, lesquels aussi, antisémites au dernier degré, ne manquaient jamais une occasion d'exprimer leur haine, bonjour les cours d'histoire, ou même les conseils de classe !!

En résumé, même si tout cela se passait en France et dans les années 80, c'était pas fait pour aider ma mère à retrouver la notion du temps, parce que dans les années 50, à Paris, c'était pareil, et pour ce qui est des générations précédentes, ceux qui ne sont pas morts à Auschwitz le sont à Verdun qqs années plus tôt, en sales juifs bien français s'il en est, et bon, c'est pas le genre de trucs dont on aime à parler en famille, trop glauque, vraiment.

Tout ceci pour amener le portrait de ce moustique (à l'époque lol) deux ans de moins que les autres (en plus une tête d'ampoule, vraiment tout pour plaire !!) qui se pointe au lycée un beau jour et tombe raide amoureuse limite immédiatement. Il suffisait peut être à cette époque déjà, que la nana soit attentive, à l'écoute, douce, respectueuse..

De cette époque aussi date le moment où j'ai pris conscience que j'avais " le complexe du rejet ", à savoir se sentir rejetée, partout, tout le temps, tout le monde, et refouler, cacher, toujours absolument, toutes, toutes mes différences, essayer de donner aux autres l'image de qq'un " comme eux ". Bon, c'est débile, mais toutes les pathologies sont débiles..

D'histoires amoureuses foireuses toutes (mé bon j'étais une obsédée sexuelle précoce lol donc ça aide pas..) en plans glauques pcq mon groupe de potes était fn, merci les cops !! et de haine d'être moi.. tout cela m'a menée à cette époque de mes 21 ans, à une soirée un peu space.

Nous étions invités, une vingtaine de potes de bringue réguliers, chez une copine, la maison de ses parents, bord de mer.

J'étais amoureuse " de loin en grand secret " (bah j'avais pas fini mon adolescence affective !!!) d'une fille.. évidemment hein ?

Ce que je lui trouvais ? bah, une certaine présence peut être, bon, pis yavait le phy aussi, une envie d'elle plus féroce et plus terrible que toutes celles auparavant. Je pense que ça doit être à cause de mon gaydar ultra perfectionné, il crépite fébrilement quand les ouvertures sont possibles même sur des homos refoulées, et donc je perds la boussole.. pratique tiens !!!

Et ce soir là, le petit ami de la maîtresse de maison, entraîne la nana que je ne quitte pas des yeux, sous un prétexte bidon à la cave. Bon, quand on est vierge à 22 ans pour qq raison que ce soit, c'est toujours tentant de se débarrasser de l'affaire, avec qui ou quoi peu importe.. c'était son cas.

Ils en étaient aux préliminaires donc, quand tout à coup elle a été prise pour ce mec d'une aversion et d'un dégoût terribles ! Une envie de vomir ! Elle est remontée de la cave en quatrième vitesse, et là, c'est avec moi qu'elle est partie dans une chambre, sans transition.

Bon, il ne s'est pas passé grand-chose, mais quand une de vos copines de classe est homo, c'est un peu mal venu je trouve de la prendre même " innocemment " dans vos bras et de la cajoler, qq en soit la raison.. Bon, je pense qu'elle exorcisait par là ce qui venait de se passer avec le mec.. Elle remettait les compteurs à zéro, elle avait ce choix à faire : filles ou garçons ?

Puis le lendemain, vis à vis de moi, comme si de rien, plus rien, ni bonjour ni merde, indifférence, mémoire effacée, il ne s'était rien passé.

C'est là qu'a débuté le cauchemar : j'aurais voulu que nous parlions de tout ça, que nous mettions les choses à plat, qu'elle m'aide un peu quoi, ne serait-ce que par amitié. C'était pas le premier amour, mais jamais je n'avais été aussi dingue, aussi envahie par la présence d'une fille, son parfum, sa douceur. Je me suis bourrée la gueule à en vomir barathons tous les soirs ou presque avec les copines, elles, je les ai épuisées, moi j'étais en cours à huit heures !!!

Et, pendant trois ans suite à cet épisode, de soirée en soirée, de jour en jour, je n'ai vécu que de et que pour ces tout petits instants où elle oubliait sa réserve, allait jusqu'à m'accorder encore un peu de ce regard là, ces sourires là, les frôlements accidentels, les bouts de convers.. des trucs débiles et immatures je sais.

Et là, le curseur dans mon petit cerveau bionique qui ne comprenait plus rien, s'est mis sur " autodestruction " et un processus bizarre a commencé.. dégradation lente, maladies psychosomatiques que ça s'appelle, jusqu'au jour où je suis tombée net en bas de chez moi.. juste devant chez un toubib ceci dit, j'ai toujours eu un relatif sens pratique..

In extremis, bon à l'époque je prévoyais de me jeter d'un pont d'autoroute histoire d'arrêter tout ça, j'avais même choisi lequel.. l'ex grand amour de ma vie (rhaa très mélo toujouuurs, c'est une vocation !!) s'est tapé ses 500 bornes (je ne l'avais pas revu depuis 4 ans bel effort de sa part) et est venu régler ce bordel.

J'étais dans un état.. mon médecin hésitait à m'hospitaliser, il ne savait honnêtement pas si ça me sauverait ou m'achèverait un peu plus vite, bah oui, suis claustro en plus, alors les hostos.. J'avais brûlé, digéré, flingué, tout mon système digestif, bah yen a d'autres y se flinguent le système nerveux, je sais pas si c'est mieux, et les grands avantages de la situation, c'est que je pouvais être prise de crises de colite aigues n'importe où, n'importe quand, dans la rue, dans un bus, je me tordais de douleur à en hurler, les jours les plus humiliants de ma vie..

Ambiance cauchemar avec en tête cette idée : mais quand est-ce que ça va finir ??

Et cette prière au Ciel pour en finir et vite.

Bon, de l'avis de mon ex, de ma meilleure amie aussi, l'homosexualité ou la sexualité tout court, c'était pas pour moi, comme dit ma voisine : " l'amour ne te réussit pas ! " Et c'est là que j'ai commencé les cours de théo, je me suis éclatée, comme prof en deux ans je suis devenue une icône. Rhaa la côte avec les tites jeunes filles ya de quoi fantasmer !!!

Pis j'ai rencontré un mec, lui ou un autre, puisqu'il fallait renoncer, il avait l'air gentil.. Je l'ai suivi jusqu'à Stras, je l'ai suivi quatre ans jusqu'à ce qu'il fasse qq ch d'impardonnable. Et là, je me suis retrouvée seule, à 3000 bornes de chez moi, mon job, ma famille, mes copines même si relations ambiguës, avec impossibilité technique d'y retourner..

Deux ans de prostration jusqu'à ce que je rencontre la femme qui me remette stylo en main et goût à la vie. La rupture a duré plus longtemps que notre relation ceci dit, mais elle a été là, de bout en bout, histoire que je ne me suicide pas.. alors que peut être je n'étais pas moi-même consciente de ce que je suis parfois prête à faire.

Il y a quatre mois de ça, train train et vie stabilisés, j'ai rencontré une fille. Mais qu'est-ce que je venais faire dans ce bar je vous jure ??!!! Bon, je venais de décider de me désenclaver rapport à la prostration strasbourgeoise et au fait que je ne sortais jamais que sur le net.

Juste pour dire à quel point ça a été stupide et pas de son fait : coup de foudre total immédiat, j'ai passé toute la soirée à la dévorer des yeux. Pô discrète même, mais bon.. J'ai adoré son sourire, son regard, tout ce qui se dégageait d'elle. Et putain ce qu'elle dégage !! j'ai cette impression que quand elle débarque qq part, elle devient aussitôt le moteur du monde.

De soirées suivantes, en tites ballades en ville aussi, au parc, ou à faire séances de casting ensemble sur les terrasses de bar.. Je me suis avouée que ce n'était pas que physique, qu'en plus d'être une tueuse de rire, la fille était attentive et intelligente aussi.. J'en suis venue presque contre mon gré, à cette idée idiote, que je me sentais terriblement bien en sa présence. Là où ça n'allait pas marcher, c'est que j'en ai été rapidement aussi follement accro que pour la première histoire..

Et je me suis dit tant pis je plonge.. même pas peur !!!

Au bout de trois mois et demi, à un moment où je ne m'y attendais même plus, bon, il ne s'est pas passé grand chose non plus, un tout petit peu plus que la fois précédente, plus significatif, plus simple aussi, dans la mesure où entre filles et garçons elle a fait son choix depuis un petit moment..

Puis au bout de trois jours, l'histoire n'était même pas commencée histoire de pouvoir dire qu'il n'y a pas eu d'histoire, elle m'a larguée, tout simplement, sans explication.. et c'est le " sans explication " qui comme tite goutte d'eau dans la vie de qq'un de plutôt borderline, a fait que nerveusement j'ai craqué.. Craqué, tout simplement craqué, en français dans le texte.. Déferlement alors de questions obsessionnelles : " Alors quoi je suis une merde ? " Ou : " Elle a honte rapport à ses copines d'avoir flirté avec un vieux thon comme moi ? " " Elle a cédé juste par curiosité histoire de se dire qu'elle pouvait le faire et s'est arrêtée aux justes limites de ce que je peux lui inspirer de dégoût ou d'envie de vomir ? "

Dans la vie on fait parfois des trucs compulsifs, on reproduit des schémas..

Hier soir entre neuf et dix je jouais avec un couteau.. et dans ma tête je répétais : " respire ! on va te trouver un médecin ça va aller !! " Je passais ce disque là en non stop tout en jouant avec le couteau, une impression de se battre contre qq'un d'autre que moi..

Pis la porte de ma chambre s'est ouverte, c'était ma fille.. et là je me suis rappelée : quand j'avais quatre ans moi aussi, un jour, derrière la porte j'ai trouvé ma mère laquelle faisait joujou avec un couteau.. Ce que les parents peuvent vous refiler de casseroles parfois, nan mais je vous jure..

Hier soir, onze heures, je l'ai rejoins, elle, ses copines, pas bonjour, rien, une impression de pas faire partie de la bande, et elle qui m'a pas calculée.. j'étais une merde, je n'existais pas, pas un mot.. Jusqu'au moment même de partir où sa copine m'a envoyée chier quand j'ai proposé de les ramener..

Ça doit être culturel parce que moi, j'aurais pas laissé une nana, même un vieux thon, seule sur un parking dans ce quartier là à deux plombes du mat. J'aurais au moins attendu qu'elle retrouve sa bagnole et s'y pose.. menfin les gamines ne raisonnent pas comme ça, elles n'ont peur de rien elles, et probablement ont-elles raison.































virgi :


Pourquoi pas ?




Ce premier soir là je me baladais le long des quais sous la bruine. Un brouillard à couper au couteau s'élevait du canal, on n'y voyait pas à quinze mètres, une ambiance de film dans le style Maigret. Je me fis sourire moi tout seul. Je devais lui ressembler tiens, au vieux commissaire, galure sur la tête et mains dans les poches.

J'avais un peu froid sous le trench, ce qui en l'occurrence devait être une bonne chose ; épuisé que j'étais, dans le cas contraire, je me serais probablement effondré endormi sur un banc.. et je m'en serais voulu de piquer son lit à quelqu'un, fut-il sdf, d'autant que je venais moi-même d'être éjecté du mien, enfin, du notre.

Filou venait de me jeter.

Je marchais sans vraiment avoir l'impression d'appartenir au monde étrange que je traversais. J'étais dans un de ces jours, au cours duquel en tant qu'homo, on se donne l'impression de ne plus appartenir à la vie, dans tous les cas, cette vie là, celle de monsieur tout le monde.

Je suis passé devant le Bateau Ivre, la boite, fermée, j'ai fait demi tour puis j'ai tracé vers la Petite France. Sous un porche de pierre, deux petites folles se bécotaient, très mignons. J'en soupirai d'énervement ! Décidemment ! D'ordinaire dans ce coin là, c'est le rendez vous des passes anonymes, violentes et rapides.. il fallait que je vois tout le contraire, moi ! Dans un jour où vous êtes désillusionné, il faudrait que le monde entier le soit aussi, non ?

Les bords de canal, l'eau, l'herbe verte, désordonnée, foulée aux pieds, sauvage, les nids d'oiseaux, les merdes de chien, et autres vide-ordures : canettes de bière, seringues pourries. C'est amusant, logique et paradoxal, les junkies et les amoureux de la nature ont goût aux mêmes endroits.

Sans vraiment chercher d'autre refuge qu'en moi-même, je me retrouvai face au Pont Doré. J'ai sonné. Je suis entré.

On entre à cet endroit là comme dans un temple ou un caveau. Les lumières tamisées, les murs orange et gris, la musique assourdissante confinent au rite initiatique, jusqu'à ce que les yeux s'habituent. Je descendis l'escalier métallique menant au bar à pas comptés. On s'habitue à tout.

Je commandai un gin to puis j'observai. Sous le pont passerelle menant au deuxième étage, un écran plasma et une télévision : Chimène Badi. Chimène Badi pour qui ?

La salle se répartissait en petits coins feutrés, tables hautes et tabourets au milieu sous les arcades, canapés et tables basses, photophores sous les corniches et le long des murs.

La serveuse devait être jolie.. mais bon, ce n'est pas mon domaine de compétences. Le patron était cordial. Je donne assez bien le change malheureusement pour moi, dans ces périodes où je sens la dépression poindre, comme une image du passé tend à vous rattraper, puis à vous engloutir.

La conversation semblait tendue entre deux filles au fond, les seules dans ce petit monde d'hommes, l'une d'entre elles agitait frénétiquement les bras tout en parlant, elle me fit songer à Don Quichotte.

Je commandai un deuxième verre, je le bus avec délectation tout en les observant. La grande qui gigotait, elle devait être plus grande que moi.. et sa copine, affalée, avachie, abattue, semblant se prendre le monde entier sur la tête, et l'air aussi de n'avoir jamais fait que cela, tous les jours, jours, de sa vie.

Au bout d'un petit moment, elle dut se sentir observée, et un peu ridicule aussi, Don Quichotte se tourna vers moi. Elle me sourit, elle avait de ces bouilles franches au sourire contagieux. Et j'eus envie de rire, c'était surprenant ! Totalement déplacé..

D'un geste cordial elle m'invita à les rejoindre. Mais pourquoi pas ?

D'un pas décidé et léger pour quelques instants sauvés, je les rejoignis, et pris place en face d'elles. " Arthur. " " Aurélie. " (La grande.) " Gaëlle. " (Le monde sur la tête !! ou peu s'en faut..)

La serveuse est passée et nous avons remis les consommations. Pomme-vodka pour le bisounours désenchanté, et jus de banane pour Marc-Aurèle. Ça lui allait drôlement bien le jus de banane.. elle faisait plus butch qu'un empereur romain !! Je me sentis toute, toute petite tapette écrase-mouches à son côté, et ça faisait du bien ! sincèrement.. être soi-même..

Nous nous sommes raconté nos vies, Bibi et moi. Aurélie observait. C'est une vraie fausse timide : j'observe et je dis après. Après, c'est une formidable tueuse de rire, de celles qui vous feraient oublier tout, jusqu'à votre nom et votre adresse ! Par ailleurs, j'avais tout ce qu'il fallait d'envie terrible d'oublier que j'étais sans adresse désormais, ce soir là.

Vingt ans ! Elles avaient vingt ans ! Je n'en revins pas. Les lesbiennes désabusées ou pathologiquement célibataires ont-elles un âge ? Je me sentis vieux et sage comme par enchantement. Je sentis aussi que nous aurions énormément à nous apporter tous les trois, juste comme cela, à être présents les uns aux autres, à rire, et à parler.

Les gens qui parlent et vous écoutent refont le monde, lui rendent une dimension humaine, vous réconcilient avec cette triste nécessité d'être toujours présents à vous-mêmes, quelles que soient les circonstances.

A revenir tous les jours ou presque dans ce bar, je pus constater que selon les jours et les heures, la faune s'y diversifiait. Il me suffisait désormais d'envoyer un sms à Aurélie pour qu'elle m'y rejoigne. Quel joli couple à trois nous formions ! Pour peu que le bonheur attire, je crois bien avoir partagé un peu de bonheur avec ces deux-là.

" Ça y est, il a encore changé d'avis, il ne veut plus me faire mon bébé ! "

" Est-ce que nous pouvons nous joindre à vous ? Il n'y a plus trop de places assises dans le bar.. "

" Ce qui est totalement faux, mais à choisir, vous avez vu les tronches que tirent les autres ? "

Un joli tit couple homo.. se chamaillant joyeusement.. une fille un garçon ! Dix-neuf ans tous les deux. Je devenais babysit pour le coup.. " Anne. " " Joseph. " " Arthur. " " Aurélie. " " Gaëlle. "

Un duo mythologique ou je ne m'y connais pas !! Laurel et Hardy ? Bonnie and Clyde ? Les Vamps plus que nature ?

Et pour le coup nous formions un quintet, ne resterait plus qu'à choisir quelle musique nous accorderait, peu ou prou. Une sorte de forum était né, avec son Ancien, moi, son Empereur, Aurèle, son chef, Anne, ah ben oui, parce que même arrivée dernière, en lesbienne et fem qui se respecte, le chef c'était elle ! Pourquoi pas ?

Et un de ces soirs-là, passés en famille ou presque au Pont Doré, le bar était bondé, je vis paraître un personnage plus curieux s'il est possible et plus dissemblable encore aux joyeux oiseaux que je venais d'adopter.

Il était très beau. Le visage totalement glabre, les traits très fin, régulièrement dessinés, de taille moyenne, les cheveux en pétard, bruns, le regard sombre et rêveur à la fois. Je cherchai ses mains du regard, elles n'y étaient pas, immanquablement ou presque, plongées dans ses poches.

Je le regardai évoluer dans la salle, et chemin faisant taper la bise à trente personnes de sexes différents ou presque : lesbiennes, pds, transgenres mâles ou femelles, la serveuse (hétéro donc) et ce manège me sidéra. Jusque là, entouré de trois nanas et un poupin, je pensais être l'Homme à Femmes du lieu.. Impossible de le quitter des yeux, et pourtant aucun désir ne montait.. J'eus du mal à me comprendre, mon gaydar bipait infailliblement pourtant..

Je dus redescendre sur terre une douleur lancinante dans les côtes. " Bibi ? " " Ah ben enfin ! " Je dus avoir les yeux ronds de surprise. " Oui ? " " Tu vas la lâcher oui ? Ça fait bien dix minutes que tu ne quittes pas cette fille des yeux !! " " Pardon ? " " C'est une fille Arthur, on se réveille, on réalise, et on passe à autre chose ! Tu ne le trouve pas super mignon le nouveau serveur ? " " Beau comme un d ieu !! " Et je soupirai. " Malheureusement. "

Je scrutai les yeux de mes comparses. Etais-je le seul à avoir été subjugué par cet.. cette fille ?!

Mon ego en fut pour ses frais.. Indifférents totalement à ce qui venait de se produire, Anne, Jojo et Aurèle n'avaient pas même interrompu leur bavardage. De vrais comiques de foire !

Lorsque la fille se fut géographiquement rapprochée de nous, je perçus ostensiblement un long frisson parcourir Gaëlle dans toute sa colonne vertébrale. Ses yeux fusaient, brûlaient, incendiaient, illuminaient..

Le phénomène était totalement indescriptible. Je n'avais jamais vu les yeux de Gaëlle briller de façon aussi étrange. A ses yeux, bleus, il était temps que je m'en rende compte, un croquemitaine semblait avoir fait apparition.

" C'est ton ex ou quoi ? "

A ces mots elle devint rouge, écrevisse, frisant la crise d'apoplexie. Puis elle baissa les yeux, murmura.

" Ce n'est pas mon ex, je ne suis jamais sortie avec une fille. Ni sortie, ni embrassé une fille. Enfin c'est à se demander même pourquoi je précise cela, je ne suis jamais sortie et n'ai jamais embrassé personne. Je suis amoureuse d'Aurélie. "

Machinalement je saisis mon verre, mais il était vide.

Et donc Gaëlle était amoureuse d'Aurélie en grand secret depuis la classe de maternelle, quand je dis que les lesbiennes sont pathétiques..

" Arthur arrêtes, tu en as déjà bu quatre ! " Je hochai la tête pensivement. Mon empereur tout personnel prit cela pour un assentiment.. et s'en re-fut à ses ouailles. Elle donnait une consultation limite psychiatrique pour l'heure..

Je me sentis terriblement bien à me trouver en compagnie, moi y compris, aussi royalement nombrilo-centrée, je pouvais bien penser et faire ce que je voulais, je me sentis libre.

Alors, je fis discrètement signe à Bibi d'opérer à mon côté, un rapprochement stratégique vers le bar. Les joues roses de convoitise, elle opina du chef, et, discrètement, nous nous exécutâmes. De parfaits malfaiteurs ! savamment organisés..

" Mais enfin, c'est qui cette fille ? " Bibi se gargarisa encore un peu la gorge de pomme-vodka histoire de me faire languir avant de répondre. " C'est une sorte d'artiste je crois. Mais ne t'inquiète pas, a priori tout le monde se trompe, elle est totalement, très androgyne. "

Je sentis une main ferme se poser sur mon épaule, l'heure de mon dernier verre d'alcool venait de sonner. Aurélie me souriait de toutes ses dents carnassières, blanches, régulièrement rangées, une très belle bouche pour une fille.

" Et si nous rentrions ? " Je jetai un œil à ma montre, certes, il était minuit passé. Elle tenait une carte de visite à la main, une de ces petites cartes que l'on commande sur le web. " Qu'est-ce que c'est que ça ? "

Elle n'eut pas le temps de répondre, le couple infernal se fit porte parole express : " Ya une fille qui lui a demandé si elle ne voulait pas poser nue pour des tableaux. "

Je faillis m'étrangler de surprise ! " Et tu lui as répondu que non ? " Aurélie fronça les sourcils. " Mais tu es mal élevé toi ! On ne jette pas les gens comme ça ! Je lui ai dit que j'allais réfléchir.. et je lui ai proposé de venir dîner avec nous tous demain soir ! "

Bibi tiqua. " Ah, mais moi demain je peux pas, ya ma cousine qui vient me voir. "

" Tu l'emmènes avec !! "

Nous étions enfin sorti du bar, marchant en petit groupe le long de la rue piétonne. Je me pris à détailler les colombages des bâtisses comme avec nostalgie. " Moi, je ne peux pas non plus, je pars passer le week end chez ma maman. " " Et moi je profite de la voiture.. "

" Lâcheurs ! "

Je m'imaginai un instant tenir la chandelle à deux lesbiennes au cours de leur premier rendez-vous. Je souris en moi-même. La vie devenait dérisoire, piquante, un rien de sitcom titillait l'air. Et comme à l'habitude je me dis : Pourquoi pas ?

" Tu peux compter sur moi ma grande ! " Et sur ce, en catimini ou presque, je leur tapai une rapide bise et filai attraper dare-dare le dernier bus. La soirée m'avait donné faim, j'avais hâte de m'affaler extatiquement sur mon vieux coach poussif, dévorer un vieux reste de pizza froide racornie sur fond musical tout doux, confortablement, quand bien même dans ce nouveau chez moi, tous les cartons n'étaient-ils pas encore déballés.

Voir Aurélie inviter une fille à dîner m'avait laissé totalement bouche bée, soufflé, pantois ! Encore que.. naturellement elle ne l'avait pas invitée en tête à tête. Naturellement aussi, le cas échéant, si cette fille la draguait elle pourrait toujours faire semblant de ne l'avoir pas remarqué. Enfin, naturellement aussi, il ne fallait jeter personne, les gens, les uns, les autres, ayant tous désespérément besoin d'amitié. Aurélie recréait l'Armée du Salut à elle toute seule par autant de mansuétude.

Une Armée du Salut aux couleurs gaies, tout un programme ! Plutôt sympathique non ? Même pas..

Aurélie était exaspérante. Aurélie prétendait ne plus jamais aimer.. Il y en a tellement d'autres comme elle, des esquintées de la vie, des blessées d'amour tout court ou d'amour propre, lesquelles par égoïsme ou suffisance, refusent obstinément de guérir.

Aurélie prétend qu'il y a des gens qui n'ont pas vocation à aimer. Je trouve ça terrible de dire ça. D'autant que comme le dit Jo, pour une fille, elle est carrément pas mal.

J'ai longuement parlé avec elle. Des soirées et des soirées entières à essayer de comprendre. Elle a sa blessure d'amour trahi.. trahi un peu au hasard, en ce sens qu'aucune volonté humaine n'y aurait pu rien changer, trahi par la vie. C'est peut être ces gens qui ont cette douleur d'amour perdu irrémédiable qui ont le plus vocation à aimer, non ? Contrairement à sa petite théorie de psy de comptoir ?

Et Gaëlle dans l'histoire ? Et combien d'autres lesquelles voudraient ou auraient voulu qu'elle leur laisse un tout petit peu d'espace dans son histoire ? un petit peu d'espace pour essayer de l'aimer ou juste pour vivre tout simplement ? Parce que ça fait partie de la vie non : aimer, baiser, se prendre des râteaux, recommencer.. ?

Pis, c'est tellement bon de faire l'amour ! et même de ne pas faire l'amour c'est terriblement érotique, à condition de se promettre quelque part d'y arriver un jour..

Tout cela s'appelle " jardiner " chez les homos un rien fleur bleue.. on préférerait des pelles, mais on se prend des râteaux ! et pan dans les dents, et pan ça fait mal ! Mais on recommence.. sachant que ce n'et pas d'amour dont on souffre jamais, mais de ce manque de respect dont tous, nous affligeons les uns les autres. Par égoïsme pur.

Ma petite théorie à moi dit que les gens que nous avons aimé et perdu, méritent que l'on transforme puis partage cette propension d'amour qu'ils nous ont donné, en leur mémoire.

Ma petite théorie, et je dois être un petit peu lesbienne moi pour dire cela, dit qu'après l'amour reste en nous quelque chose d'aussi fort que l'amour, quelque chose à donner. Ce petit quelque chose, si nous le confinons, le réduisons, l'enfermons, a lui seul vocation à la souffrance.

Le petit quelque chose dévoyé, en chacun de nous à sa mesure, pourrait être le début d'une incroyable qualité relationnelle à autrui, et pas uniquement s'agissant d'amitié, certes non ! Mais nous sommes tous démissionnaires, ou masochistes pour certains, à n'en plus finir et plus finir, de les contempler béatement ou même à triturer nos plaies.

Tout ceci dit, pensé, cogité, j'envoie un sms à Aurélie. Il est deux heures du matin.

" Tu dors ? "

" Non. "

" Qu'est-ce que tu fais ? "

" Je regarde la télévision. "

" Elle te plaît cette fille ? "

" Meuh ça va pas, non ??!!! "

" Ok, je n'ai rien dit. Bonne nuit ma grande. "

" Bonne nuit moustique ! "

Ce qu'il en coûte de raconter à n'importe qui qu'étant petit vous rêviez aux chevaliers de la table ronde, au roi Arthur, à Merlin l'enchanteur.. Bonjour les quolibets !!

Je m'endormis ainsi, un peu dans le cirage, à rêver qu'un enchanteur over sexy tout droit sorti de Têtu ne vint et me rende l'amour de Filou, ne vint et ne permette à Aurélie d'aimer comme tout le monde, sans prise de tête, sans projets idiots, et sans plus aucune crainte de l'avenir.

Le lendemain soir, rendez vous donc à la Crêperie, à moins de cent mètres du Pont Doré. Elle a été le chercher super loin son restau Aurélie, non mais sans blagues ! Qui plus est, elle a totalement oublié de me téléphoner l'heure et l'endroit du rendez-vous, j'ai du me dépatouiller tout seul.. sérieusement, si ma curiosité n'avait pas été la plus forte, je l'aurais laissée totalement en plan sur ce coup-là ma demoiselle ! Et elle eut amplement mérité qu'on ne lui pose lapin ce soir-là la Cunégonde, nan mé des fois !!!

Mon portable sonna au moment même où je franchis le seuil du restau. Nos regards se croisèrent, rieurs, complices. Hésitation ? La grande et superbe muraille de Chine elle-même aurait-elle eu comme peur soudain de dîner en tête à tête avec son étrange inconnue ? son intime étrangère ?

La soirée démarra au quart de tour et en trombes. Aurélie enfin venait de trouver son maître, ou sa maîtresse allez savoir, pour ce qui est des vannes cassantes et bien cinglantes. Fous rires absolus et garantis. Difficile d'avaler quoi que ce soit dans de telles conditions !

Au moment d'y aller de ma propre plaisanterie, je fis une toute petite bourde.

" Ah non, là c'était mon pied. "

Silence absolu de part et d'autres, un ange passe, elles ont l'air terrifiées et confuses toutes les deux. Que se passe-t-il ?

" Euh.. et Modigliani c'est pas vraiment ton nom, si ? " " En fait non, pas du tout, pour de vrai je m'appelle spaghetti alors déjà comme ça à l'école c'était dur à porter, alors comme nom d'artiste, à moins d'être bouffon, je me suis dit laisse tomber.. "

" Tu es en train de te foutre de nous ? "

Elle sourit malicieusement.

" Un peu oui, j'avoues. Bon, je m'appelle vraiment Modigliani et pour un peintre, c'est pas mal trouvé. "

" Et tu peins dans quel style ? "

" Moderne ou presque moderne on va dire. Un peu selon ma fantaisie à moi. Ceci dit, même pour faire du n'importe quoi, au départ les méthodes d'apprentissage sont les mêmes.. "

" Ton peintre préféré c'est qui ? "

" Romaine Brooks. "

Je souris. " Evidemment ! "

" Non ! Pourquoi évidemment ? Ça s'est trouvé comme ça, c'est tout. J'aime bien aussi Marie Laurencin, mais je suppose pour le coup que si j'en parle tu vas me trouver sectaire.. "

Je haussai les épaules. " Un peu oui, mais c'est ton droit après tout, non ? "

" Rhaaa, j'aime bien Egon Schiele aussi ! " " Evidemment. " Elle s'enfonçait.. c'était amusant de la voir se dépatouiller ainsi, prenant conscience à la seconde ou presque, que ses égéries étaient exclusivement homosexuelles. Ils sont étranges les hasards de la vie, non ?

Aurélie émit un grognement. " Si je vous dérange, vous le dites ! "

" Pardon ? "

" C'est qui Romaine Brooks et Egon machin chose ? "

" Schiele. Des peintres. "

" Merci. Je m'en doutais. "

Modigliani plongea ses yeux aux siens, Aurélie ne départit pas un instant du regard.

" J'ai des repros chez moi, je te montrerai si tu veux.. "

" Oui, ou alors je peux aussi bien aller chercher ça sur le web. "

Modigliani acquiesça. " Comme tu veux.. "

Avec Aurélie c'était toujours pareil : un pas en avant, deux pas en arrière. Mais enfin à quoi jouait-elle ? Et l'autre la draguait c'était évident, et elle en avait conscience, c'était plus qu'évident.

Nous raccompagnâmes Modigliani un petit peu vers chez elle. En chemin, je comptai trois reprises au cours desquelles elle proposa à Aurélie de venir voir les repros. Celle-ci ne déclina même pas, elle fit tout simplement semblant de ne pas avoir entendu. Au moment de la quitter elle lui fit une bise rapide, craintive, précipitée, sèche. J'observai Modigliani repartir son bout de chemin la tête basse, le dos rond, perdue dans ses pensées.

" T'es vache quand même !! " Aurèle me fusilla du regard.

" Non mais, de quoi est-ce que je me mêle ? "

Je la raccompagnai jusque chez elle à mon tour, sans mot dire ou presque. Aurèle avait le regard flou, presque vide. Un instant je crus bien voir sa gorge se contracter, mais ce ne fut qu'un très fugitif et court instant. Elle me rejouait le coup de la muraille ! Bonne nuit..

Le lendemain matin vers dix heures, elles étaient toutes les deux au parc, puis toute la journée aussi, ensemble. Jamais de toute sa vie étudiante Aurélie ne s'était levée aussi tôt !!

Mais Modigliani était rentrée bredouille, incertaine, déstabilisée presque. Encore une qui se prenait la tête pour rien..

Elle nous retrouva au Pont Bibi, les forumeurs et moi vers dix heures le soir même. Je surpris sa main à tenter d'effleurer celle d'Aurélie plusieurs fois. Bibi afficha une tête furieuse de serial killeuse toute la soirée, sans piper mot. Je crains que notre peintre ne se fut faite une ennemie tout ce qu'il y a de très personnelle. Et, pour quelqu'une qui d'après la légende, s'était essayée à toutes les espèces sexuelles de la ville, Modi n'en menait plus très large. Anne s'essaya à la dragouiller un tout petit peu juste pour voir, l'autre prit des airs de vierge folle terrifiée.

Aurélie prétexta une urgence bidon pour nous laisser en plan.

Au moment de rentrer, nous raccompagnâmes Gaëlle un petit bout de chemin, Modi et moi. Les filles marchaient devant. Elles juraient comme des charretiers, marmonnant de tout leur saoul, chacune sur sa planète.

Modi fut la première à rompre les borborygmes distinctement :

" Putain, putain, putain ! "

Bibi afficha tranquillement un quatre de la main.

" Hein ? "

" T'as oublié un putain ! Depuis tout à l'heure tu les balance par quatre, tu romps le rythme là !! "

Elle eut un sourire grimaçant.

" Je suis complètement dingue, folle de Marc-Aurèle !! "

Leurs regards se croisèrent.

" Et tu n'es même pas la seule ce faisant ! Ceci dit t'es quand même une belle salope ! "

" Pardon ? "

" Et moi ? J'ai un cul de banane pour que tu aies couché avec toute la ville sauf moi ? "

Modi haussa fortement les sourcils s'il se peut.

" Euh.. je n'ai pas vraiment couché avec tout ce que la ville compte de lesbiennes tu sais, c'est un peu une légende.. "

Je n'avais jamais vu Gaëlle aussi ironique, verte, décisive et inspirée. J'en fus scotché !! Si j'avais pu me fondre dans le mur à ce moment-là..

" Ceci dit, mon corps nu à moi, même en photo t'en voudrais pas !! Ça va le nombril et les chevilles ? T'as remarqué que t'habitais à moins de cent mètres de chez moi ou même pas ? "

Modigliani stoppa net.

" Euh.. je ne comprends plus bien.. tu peux me la refaire là ? "

Les yeux de Gaëlle lançaient des éclairs, je crois que son psy aurait été très fier d'elle l'espace d'un instant. Elle beugla.

" JE suis amoureuse d'Aurélie ! Et vous me faites chier à être toutes amoureuses d'Aurélie !! Même toi l'autre espèce de tapette.. Aurélie est à moi et allez tous vous faire FOUTRE ! "

Sur ce, elle tourna les talons, poings dans les poches, et il aurait fait beau ce soir là que quelque voyou que ce soit mal inspiré n'en vienne à la chatouiller. Elle l'aurait bouffé cru !!

Le lendemain encore, Aurèle et Modi passaient la journée ensemble. Elles commencèrent par un petit déj sur la place. J'aurais voulu être un gnome pour être de ces instants là.. mais bon, bosser et se faire vingt mille tunes par mois a de bons côtés aussi, disons, des avantages non totalement négligeables.

Elles se firent toutes les berges du canal aussi, à papoter, à plaisanter, pour finir ensemble dans l'atelier de l'Artiste. Il ne s'y passa même rien.

De jour en jour, de soir en soir devrais-je dire, ne la voyant guère que dans ces moments là, je trouvai que le regard de Modi s'obscurcissait. Ses mains étaient devenues tremblantes, ses gestes hésitants, l'Artiste nombriliforme devenait muette même, dans une certaine mesure.

Et elle squattait systématiquement la place à côté tout côté d'Aurélie sur le canapé au fond du bar..

Jojo, Anne et moi nous regardions en bonnes crémières, les yeux dans les yeux à ne rien y comprendre.

Et Jo brisa le silence en tout premier. " Mais alors vous sortez ensemble ou pas ? " Aurélie à cet instant même retira énergiquement sa main de celle de Modi. " Non ! " Et Aurélie quant à elle faisait semblant de ne pas avoir entendu la question.

Ce soir là le long des rues, nous raccompagnions ensemble, Modi et moi, Jo et Aurélie jusqu'à leur arrêt de tram. En longeant le bord du canal, elle eut tout à coup envie de descendre au bord de l'eau. Caprice de fille ! Nous la suivîmes. Elle fit quelques pas, elle devait avoir aperçu un truc nageouillant dans la flotte.

Modi la suivit. Je les observai. Modi prit fermement la main d'Aurèle dans la sienne et cette dernière ne la lui refusa même pas. Elle appuya encore sa tête contre son épaule. Et elles ne bougèrent plus. Le temps s'était comme arrêté. J'eus un frisson terrible dans toute l'échine. Tin, j'aurais tout donné pour que Filou un soir comme celui là prit ma main dans la sienne.

" Tin elles ont de drôles de façon de s'enfiler les lesbiennes tu trouve pas ? " Je souris. J'en avais presque oublié la présence de Jojo. " Bah, elles tâtent la marchandise non ? " Il pouffa de rire.

Elles se retournèrent, nous rejoignirent. Tant pis hein ? Modi nous ferait probablement un beau tableau de tout ça, non ?

Quelques heures plus tard je fus extirpé violemment de mon sommeil par la sonnerie stridente du téléphone. " Merde quoi !! "

" Euh.. c'est Filou. Tu vas bien ? " Comment l'accent italien d'un homme peut rendre un autre homme fou.. Je mis plus d'une minute à lui répondre, quoique totalement réveillé.

" Ça va, et toi ? "

" Ça va, ça va.. " Un long silence s'en suivit. Je ne comprenais plus très bien. J'en vins à prier de toute urgence pour une douche parfaitement glacée !

" Dis moi bello, je viens de retrouver un truc dans l'appartement en faisant un peu de ménage.. "

Quoi ? A sept heures du matin ??!

" J'ai retrouvé ta collection de la Pléiade dans un carton.. Et je me suis dit. Je sais bien qu'en quatre ans j'ai fait énormément de progrès en français à ton contact, mais c'est un peu dommage non ? Je devrais te les rendre.. Tu pourrais peut-être passer les prendre, ou je pourrais t'apporter tes bouquins ? "

" Bah, tu peux les garder.. en souvenir. " Je soupirai. Je devais dégouliner de transpiration aussi. Je n'avais plus entendu cette voix-là depuis deux mois au moins.

Et là Filou se mit à hurler comme un putois.

" Ce n'est pas ce que je voulais dire !!! "

Je tenais mon téléphone à bout de bras, je l'entendis quand même ! Je murmurai.

" Alors tu disais quoi en fait ? "

" Je disais que j'avais beaucoup réfléchi tout simplement. Je disais que sans toi, en quatre ans, je n'aurais probablement pas fait tous les progrès que j'ai fait. Je disais que tu m'avais permis d'être l'homme que je suis aujourd'hui. "

Je sentis ma gorge se nouer.

" Ça doit probablement être un peu vrai pour moi aussi, non ? "

Filou soupira.

" Je suis un crétin Arthur ! Et ça t'aurais du y penser avant de te mettre à geindre que je ne te comprendrai jamais.. ça aussi c'est peut être vrai, tu sais ? "

" Mais ? "

Il ne me répondit pas tout de suite.

" Mais franchement ça m'emmerde de ne plus avoir à repasser tes chemises ! L'autre conne n'a absolument aucun goût, d'ailleurs c'est simple, il ne sait même pas planter un clou ! "

J'eus un rire de contentement presque muet.

" Tu l'as fichu dehors ? "

" Ça fait un petit moment en fait.. "

" Et ? "

" Ben.. passe récupérer tes bouquins non ? On pourrait boire un verre ensemble, discuter.. ça te dit ? "

Je ne trouvais pas les mots.. je piétinais : merde ! merde ! merde ! quoi lui dire ?

Et la belle voix sombre de Filou se fit presque tremblante. " Ma dernière offre tient en ce que je prépare des spaghettis faits maison.. "

Je rigolai de bonheur ! Vraiment, certaines lesbiennes ne savent pas ce qu'elles ratent.. " Et un tiramisu ? "

" Evidemment !! bello, tu m'as pris pour qui ?? "

" Ok. Je passe prendre du chianti et je serai là vers huit heures. A ce soir.. "

En posant le téléphone j'avais les mains totalement moites, trempées de sueur.

Au bureau, il me fut totalement impossible de me concentrer.. Je passais déjeuner vite fait en ville avec Aurélie. Elle ne pipa pas un mot, c'est-à-dire qu'elle n'arrêta pas une minute de parler même en mangeant, c'était écoeurant !! Parler pour ne surtout rien dire.. ne rien me dire..

Connaissant Aurélie par cœur ou presque, je me doutais bien de ce que jamais elle ne sortirait avec son peintre. Mais je brûlais de curiosité cependant.. alors ? elle avait posé pour elle ou pas ? D'après mes faibles ressources en la matière, toute femme ayant posé pour un peintre, pouvait avoir couché avec aussi.. Bon, pas Aurélie, quoique.. en farfouillant dans son appart à l'occasion, est-ce que je ne mettrais pas la main sur une vieille croûte ?

Je l'imaginais déjà ce tableau, cubique ou presque, c'est-à-dire suffisamment peu ressemblant pour qu'Aurélie ne s'en cache même pas.. Et après ?

Ce soir là nous passions une soirée tout simplement merveilleuse Filou et moi, tendre, complice, lorsqu'un rogntudjuu commit l'offense impardonnable de sonner à la porte. J'ouvris néanmoins.

C'était Modigliani, échevelée. Elle me tendit un carton, me le rentra dans l'estomac plus exactement. " Pour toi. " Nous échangeâmes un très long regard, puis elle s'en fut sans se retourner.

Je rentrai dans l'appart, Filou et moi ouvrîmes le carton ensemble. C'était une toile, une aquarelle sur canevas coton, aux couleurs vives, un peu bâclée à mon goût mais pas à celui de Filou. Il me sourit. " C'est un beau présage non ? "

Quelle ne fut pas ma surprise en comprenant enfin le sujet du tableau ! Il s'agissait de deux femmes nues enchevêtrées, et l'une d'entre elles eut parfaitement pu être l'hybride entre une martienne et un.. bisounours. Modigliani ne remit jamais les pieds au Pont.

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Une tite nouvelle pour commencer :


by OrlandA.



JOUER ET RIRE, EN UN MOT JOUIR ?


Je suis dans un train qui roule vers la Normandie, par un petit matin brumeux dont soudain jaillit le soleil, d’une surprenante intensité dans sa blancheur virginale, avant de disparaître à nouveau dans un silence lointain qui pourtant en moi trouve un écho intime. Je suis comme lui, sans passé, sans intention, paisiblement vibrante. Que me réserve cette journée ?


Tout potentiellement. Mais je n’ai pas envie d’y penser. Définir ou prévoir serait briser la magie des possibles, renoncer d’avance à l’aventure, réduire l’univers du futur à celui de mon imagination présente. Je sais juste que je vais retrouver une fille que je connais à peine, sans but précis, sans autre projet que de me régénérer par un bain de mer, et peut-être de faire l’amour aussi, si le cœur nous en dit …

L’amour, le cœur … ces expressions sont mal choisies. Mais la simple idée de la réflexion qu’imposerait leur correction me fatigue, je n’en ai pas envie : j’ai envie d’être bien, dans l’instant. Je débranche mon neurone, remonte avec détermination le col de ma veste en jean et emmitoufle ma sensuelle fragilité dans une écharpe d’été en coton multicolore, à l’abri des courants d’air perturbateurs, quels qu’il soient et d’où qu’ils viennent.

Je n’y suis plus pour personne, tout le plaisir est pour moi.


La monotonie du paysage m’assoupit un peu mais je ne dors pas vraiment, je veux entendre la berceuse des rails jusqu’au bout ; Le rythme qui se répète et résonne comme un appel éveille en moi quelque chose d’à la fois nostalgique et sexuel, fascinant et cruel … mais le sexuel n’est-il pas foncièrement emprunt de cruauté et de nostalgie ? Sacré passé qui me poursuit…

Je ne sais pas si je veux encore aimer mais je veux vivre, et désirer. « Jouer et rire, en un mot jouir ! », telle est ma devise depuis ce jour … ce jour passé auquel je ne veux plus songer, cet adieu dont je brûle encore au bout d’un an, et depuis lequel je papillonne gayment au gré du vent, sans quête, sans espoir, sans désespoir non plus, dégustant la chair tendre aux quatre coins du monde pour ne plus inonder ma chère tendre de pleurs …


Alexia. Trois ans … une éternité et un éclair, foudroyant … on ne compte pas ces choses là … Je savais que ce serait dur. Je sais que de loin on voit les murs et de près les ouvertures, qu’il faut avancer, pousser les portes, lancer des mots comme des ballons, que la chance a partie liée à la confiance … J’y ai cru. Elle aussi, lorsqu’elle m’a désigné la fenêtre pour entrer … mais le temps que je prenne mon élan le vent avait tourné et avait rabattu le volet … non ce n’est pas ça … la fenêtre était murée. Il faut que je cesse d’y croire. C’est du béton cet échec. Et il m’a fracassé la tête.


Non, ce train n’est pas de ceux dans lesquels nous avons parcouru l’Inde, nous rejoignant la nuit sur la couchette haute .. ce n’est pas non plus celui qui nous avait emmenées à Lisbonne, pas d’escale sexe dans les toilettes de Bordeaux Saint Jean cette fois … ni le train de nuit pour Munich, où nous avons tant fait les folles avec des écossaises délurées que de Prague ensuite nous n’avons vu que le pont Charles sous la lune et le piano qui dans la chambre contemplait de toute la sobre rigueur de sa queue noire l’alternance de nos ébats et de nos sommeils entrelacés …et la fille du tortillard Cévenol dans la neige, avec laquelle Alexiallumette m’avait rendue folle de jalousie, ce qui m’avait valu ensuite une des plus belles nuits d’amour de ma vie, une de celle que l’on n’oublie jamais, qui fait croire que le rêve est devenu réalité et que ça peut durer toujours … alors que le rêve qui se réalise, l’idéal qui s’incarne, c’est l’oiseau qui se pose, la pensée qui devient chose, le désir qui se fige … le début de la fin, la mort annoncée.

********

Passons. Ce train m’emporte au loin. Les km ne comptent pas. C’est l’usage qu’on en fait qui importe. Loin d’Elle , loin de tout. Près d’une petite autre.

Loin de ces informations où l’on présente joyeusement comme « nos choix » des terribles décisions où je ne me reconnais pas, loin de cette unité de pensée et ensemble de personnes que constitue une « famille ». Je suis passée du rejet subi à l’extériorité choisie, je me permets de penser ceux par lesquels trop longtemps je me suis laissée penser, je suis apatride et sans famille, je suis libre.


Alexia ne l’était pas.


Alexia avait une mère qui lui tenait les ailes, les elles … Alexia était autorisée à désirer, pas à aimer. Elle était autorisée à jouer, à séduire, à conquérir … elle était libre de disposer de son corps, mais son âme était livrée à sa mère, n’avait jamais été délivrée d’elle … Alexia était même autorisée à être bien, mais seulement si ce n’était pas indépendamment de sa mère toute puissante.

Sa mère … indispensable à son bonheur, omniprésente dans ses relations de cœur, intrusive comme il n’est pas permis et il ne devrait jamais être toléré … Sa mère dont elle était un prolongement utilitaire, même pas nommé, même pas salué, nullement respecté, qui se devait à toute heure d’être prêt à intervenir, pour réparer la voiture, couper du bois, poser une moquette, conseiller sur les vacances (qu’elle même ne pouvait se permettre de prendre, avant qu’ensemble on y parvienne), installer un antivirus … voire simplement pour être là, sous un prétexte quelconque, annulant en dernière minute tout projet personnel pour sauter dans sa voiture et faire les 3 heures de route vers l’Est, pour en revenir ensuite, fatiguée, déprimée, constatant en général que notre week-end avait été annulé pour un caprice, par une volonté maternelle de vérifier qu’elle comptait plus que toute autre …

Gâchis de vie auquel pourtant elle ne pouvait mettre fin : être indispensable à sa mère était le sens de sa vie, l’abandonner n’était pas envisageable, elle s’en sentait responsable … refusant de la laisser se confronter à l’angoisse d’avoir une fille adulte, elle encaissait les siennes, sans mot dire, sans maudire, comme un destin, comme une aliénation par amour, même si de l’amour on ne voyait plus rien, sauf la dévotion totale d’Alexia à celle qui lui parlait comme à un chien parfois, comme à un bébé d’autres fois … à celle que je ne pouvais m’empêcher de détester pour ça, et dont aujourd’hui encore je pense qu’elle a tout fait pour que notre relation se brise, précisément parce qu’elle voyait qu’elle réussissait, que sa fille y trouvait un bonheur qui n’avait pas besoin d’elle, qu’elle s’y épanouissait, se découvrait des aptitudes et des qualités qu’on lui avait auparavant cachées ou dont on avait refusé le développement, qu’elle allait devenir capable de considérer le passé avec recul et le futur avec sérénité, qu’elle allait pouvoir vivre en étant respectée et non plus aliénée … dans ses précédentes relations, Alexia avait toujours reproduit le modèle de l’amour à sa mère, se laissant aliéner, donnant tous pouvoirs à l’autre et se mettant à sa disposition, objet de désir prêt à tout pour satisfaire l’autre … l’autre qui jouait avec elle voire se jouait d’elle et finalement la délaissait, après quelque mois, ayant épuisé l’intérêt suscité par le nouveau jouet.

Elle en ressortait en morceaux, niée dans sa personne derechef, avec une estime de soi nulle … et alors sa mère entrait en action, après avoir déjà œuvré dans l’ombre à la rupture plutôt qu’à la construction et au travail sur la relation, et jouissant de récupérer sa fille sans défense, en détresse, elle la reprenait chez elle et la cajolait avec des élans dévorateurs dont la simple évocation me donne toujours envie de pleurer.

Moi je voulais la respecter. Elle n’a pas pu l’accepter. Ça aussi ça me fait pleurer.

Je pleure un peu d’ailleurs, dans cet espèce de rêve éveillé que constitue la pensée qui flotte en moi sur fond de rythme ferroviaire.

********

Une main se pose sur mon épaule et y reste suffisamment longtemps pour que le premier sursaut défensif de surprise se mue en étonnement confiant. J’ouvre les yeux sur une contrôleuse au parfum de muguet qui me regarde en souriant, avec un mélange de tendresse, d’amusement et de curiosité. Je lis mes fantasmes dans ses yeux comme dans un Kama sutra lesbien … ne plus me souvenir de celui que nous avons réinventé avec Alexia, de toutes ces découvertes de nos corps amoureux tendus par le désir, assouplis par le bien être au contact d’une main, d’une langue, au plaisir d’une caresse d’où qu’elle vienne tant que c’est d’Elle … devant mes pupilles l’image se brouille, les visages se superposent, je me sens vraiment mal soudain alors que j’étais partie pour être bien …

Les yeux verts prennent les teintes de l’inquiétude et la compassion, leur aimable propriétaire se pose sur le siège libre à mes côtés, et sa main sur ma cuisse est rassurante, respectueuse dans sa chaleur … mais cette tête qui se penche vers la mienne, ces lèvres, cette bouche qui s’approche au point que j’en ressens l’haleine, m’excitent et me perdent … je ne domine plus rien … moi habituée à jouer, depuis un an, me voici pétrifiée, cherchant l’air au souffle d’une autre, incapable de penser, de parler, de sourire …

- « Ça va ? »

Sa voix est douce et tendre, elle me ramène un peu à la réalité .

Dans un effort je résiste à l’envie de me laisser aller à tomber dans les pommes d’amour, au désir de ne plus lutter contre ce tournis qui m’entraine, de me livrer langoureuse à cette infirmière des rails improvisée dont le décolleté fait vibrer mes sens comme une musique de transe.

- Oui .

Je me tortille pour attraper le billet, plié dans la poche arrière de mon jean … et là tout se met à danser pour de vrai, à valser, à tanguer … le temps que je comprenne que ce n’est pas moi qui déraille et que nous ne sommes pas en bateau sur une mer démontée, un choc violent jette nos crânes l’un contre l’autre au beau milieu du couloir, et tandis que je reçois un gros sac sur le dos le wagon se couche dans un bruit de verre brisé ; une odeur de graisse brûlée nous monte au nez, la torréfaction se poursuit en calcination dans nos gorges, la nausée monte comme une marée …

A la seconde qui suit elle est debout, et sans prêter attention au petit filet de sang qui coule de sa lèvre inférieure, ayant vérifié mon état d’un rapide coup d’œil, elle file tenter d’ouvrir la porte transformée en lucarne, puis n’y parvenant pas renonce aussitôt et achève de faire voler en éclat une fenêtre à l’aide du petit marteau rouge adéquat. Elle s’enquiert alors des conséquences de l’accident auprès des autres voyageurs, demande s’il y a un docteur pour une vieille dame visiblement choquée, distribue quelques consignes et conseils au passage pour que les grands patientent et retiennent les enfants, puis disparaît dans le wagon suivant. Elle en revient quelques minutes plus tard avec un médecin qui prend en charge la dame, par des paroles et des questions… Il ne paraît pas inquiet des premiers symptômes, le pire semble avoir été évité.


Le tout est à présent d’éviter les bousculades et l’affolement. Les enfants crient, des gens à peine rassurés commencent à râler et à accuser la société nationale, des femmes poussent des cris de nerfs au spectacle qui d’un bouquet écrasé, qui d’une bouteille de parfum répandue dans les airs en effluves qui au contact de l’odeur initiale virent aux senteurs de barbecue sucré raté … Les haut-parleurs qui émettent des mugissements et des grésillements ajoutent à la confusion générale qui s’installe et menace de virer à la panique.

Notre contrôlette est repartie, après nous avoir informé que tout risque d’incendie étant exclu, il convenait que chacun récupère ses affaires et attende calmement l’évacuation du train, suite à laquelle les dommages seraient évalués, des formulaires d’assurance distribués et la suite du voyage organisée.


Le choc m’a décidément tirée de mon état second et le sang froid des yeux verts me donne un coup de fouet. La femme qui s’est révélée sous l’uniforme donnerait toutes les forces pour un regard d’elle, mais ce n’est pas à cela que je songe en me levant. C’est bien d’œuvrer utilement dans ce capharnaüm qu’il s’agit à présent, l’heure n’est pas à la séduction ni au jeu, et mon esprit est à mille lieu de toute pensée coquine.

Un enfant a vomi, un autre hurle qu’il veut faire pipi et sa mère tente en vain de crier plus fort que lui, la vieille dame a repris ses gémissements dès que le médecin l’a quittée, deux jeunes gens sont prêts à en venir aux mains pour un sac malencontreusement piétiné, des fumées de cigarettes remplacent l’air frais qui commençait à entrer, un joint circule dans le coin ado qui s’est formé en bout de wagon, et chacun déverse ou attise son excitation en copieux récits sur téléphone portable … Les mécontentements fusent à présent en masse contre le matériel, l’entretien des voies, le statut des conducteurs …

Je retrouve mes vieux réflexes d’animatrice de club de natation pour parvenir à faire inspirer et souffler un peu tout le monde, bien que certains méritassent pour sûr une bonne tasse à défaut de bâillon. Au bout de quelques temps mes efforts sont gratifiés par le tricotage d’une solidarité légère qui prend le pas sur les disputes. Bouteilles d’eau et paquets de bonbons s’échangent, certains commencent à sympathiser autour de l’évocation d’une locomotive des années 50, de la qualité des moules de la côte, de la pollution, des vélos et du maire rose de Paris …


Me relevant alors du dernier coup de main donné à un rebouclage de valise, je décide de partir à la recherche des yeux verts . Justement elle arrive, manches retroussées, le visage tendu par la fatigue et la volonté, plus femme et moins agente sncf, avec à sa traîne un râleur impatient et bêtement critique qui visiblement la poursuit depuis un moment et commence à l’énerver sérieusement. Un élan de solidarité féminine auquel se mêle une bonne dose d’admiration et de désir me poussent à intervenir pour remettre ce beauf suffisant à sa place, de quelques mots choisis, juste polis, qui ne permettent ni de poursuivre ni de répliquer. Il abdique.

Elle coule vers moi un regard de remerciement et levant un sourcil, désigne ironiquement le voyageur en question, mais peut-être aussi tous les hommes , quelle que soit leur manière de la poursuivre … sa main se pose sur mon épaule au passage et elle murmure : « je reviens » ; Il y a dans ce geste un abandon, dans ce mot une promesse … quelque chose vient de se nouer qui diffère de notre désir matinal, qui se nourrit du respect mutuel que nos efficacités respectives ont induit, quelque chose qui ressemble à de la confiance.

Puis, observant le calme du wagon qu’elle traverse, elle me demande « vous pourriez vous occuper de les faire sortir ? Je vais jusqu’en en bout de train pour finir le décompte ! »

Puis elle se retourne encore :

- Au fait c’est quoi votre prénom ? Moi c’est Sophie !

- Solange …

Nos yeux se sourient, heureux de cet échange et pétillants de la syllabe commune, pas si commune … So, comme sororité …



********

L’après-midi est bien avancé lorsqu’enfin tout le monde a rejoint la route en contrebas. Les bus où l’on a chargé les affaires dans les soutes sont prêts à partir. J’ai annulé mon RV d’Etretat, après toute cette activité je me retrouve soudain vidée, sans but, sans direction. Sophie a travaillé à mes côtés pendant des heures sans que nous échangions autre chose que des mots utiles, une bouteille d’eau, un sac à porter ensemble … après tout rien ne dit que nous allons partager plus … pourtant je ne peux accepter sans un gros dépit et une pointe d’angoisse l’idée de se séparer là, au bord d’une route, elle rejoignant le lot des employés et moi celui des voyageurs, comme si rien ne s’était passé … et puis je n’ai rien à faire de ce bus si elle n’y est pas, je préfère rentrer à Paris illico plutôt que de passer la soirée au Havre. Sophie arrive et me lance : « J’ai une amie qui vient me prendre en voiture. On vous emmène quelque part ? »

J’ai envie de dire oui et j’ai envie de dire non, je suis heureuse de cette proposition et jalouse de cette copine qu’elle inclue dans un « on », indéniablement. Qu’attendais-je ? Qu’imaginais-je ? Depuis quand une lesbienne qui sourit à une autre de bon matin dans un train lui signifie-t-elle ainsi autre chose qu’une complice reconnaissance, comme une allumette en salue une autre d’une étincelle sans que flamme s’ensuive ? Evidemment qu’elle a une copine, pleine de charme et de qualités qu’elle est !

- Je ne sais pas …

Son insistance me convainc d’accepter, mais quelque chose me gêne … j’ai peur qu’elle veule jouer et je ne veux pas jouer. Voilà un an que je joue sans perdre ni gagner, comme il se doit à ce jeu là, posant d’emblée les limites libido-temporelles, tirant satisfaction des rencontres sans que rien de profond, rien d’essentiel, rien de vital, rien de dangereux, rien de passionnant non plus, n’advienne.


Et voilà que soudain tout a changé. Un cycle s’est achevé, un visage a tout bouleversé.

Ce visage est là et je ne peux rien lui dire, je sais draguer et séduire mais là il ne s’agit pas de ça. Là je ne sais plus. Je suis dans l’attente, à la merci de son désir, prête à rester et prête à fuir, espérant quelque chose qui paraît impossible, craignant son non-désir ou son désir de jeu, espérant ce dernier quand même aussi un peu … sait-on jamais où le jeu peut mener ?


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Les bus sont partis, nous sommes assises un talus touffu un peu humide, le soleil cogne énergiquement mais sans violence, et dans l’herbage en face des vaches nous regardent en ruminant sur cet accident auxquelles elles viennent d’assister en direct.


Je joue avec un brin d’herbe. Elle s’intéresse à ma bague. Je lui raconte Athènes. Elle connaît un peu la Grèce aussi. On bifurque sur les différentes sortes d’ambres. Elle passe ses doigts sur la pierre puis sur les miens, effleure ma cuisse en repartant. Le geste est naturel, nous sommes dans une intimité dont l’évidence s’impose à nous. Mon ventre gargouille, je mets ça sur le compte de la faim. Riant elle pose sa main dessus et le masse doucement. Dans un réflexe, ma main happe la sienne et la serre fort tout en la laissant poursuivre son chemin vers mes seins dont je sens darder le désir, comme mes yeux fascinés suivent son visage qui s’approche. Nos regards enfin se croisent, enflammés. L’instant d’après je tiens sa tête à deux mains tandis que nos corps tout entiers se mélangent par le petit orifice de chair avide et douce qui pour l’heure se passe de mot. La magie du désir est là, comme une petite rivière d’eau bouillante. Un tracteur qui passe contemple notre ondulation pénétrante.


Sophie me tire jusqu’au haut du talus et nous roulons au bord du champ qu’il abrite. J’ouvre sa chemise aux mille boutons et tire dessus en vain tant elle est longue. Elle a repris le dessus, a déjà dégrafé mon soutien gorge sous mon T-Shirt blanc, ouvert mon pantalon, et à présent dressée sur ses bras tendus me domine de tout son sourire espiègle. Puis c’est elle-même qui dénude sa peau, doucement, sans me quitter des yeux. Horreur ! On joue !! Horreur ! Je veux jouer !! J’attaque ferme ses seins comme un rongeur affemmé, mes mains qui ont enfin trouvé le fonctionnement de la petite ceinture de service se glissent à présent dans une caresse appuyée sur ses petites fesses fermes qui tiennent en une main tant elle est menue. Mais voilà qu’elle se retire en arrière en se frottant de tout son corps au mien, je perds son visage … et soudain sa bouche se révèle à nouveau, en une langue soyeuse, ses lèvres se régalent des miennes, les écartent , les tirent, les mordent … je m’abandonne, je ne sais plus qui fait quoi, qui est où, de ses lèvres ses dents sa langue, son menton, ses doigts … et je jouis, je fonds, ma tête renversée en arrière se retrouve sous une plante dont les feuilles écrasées dégagent une odeur forte, je suis proche de l’évanouissement … et là brusquement, elle me pénètre de ses doigts unis, ressort, revient aussitôt, encore plus fort, dans un rythme que j’accompagne d’un cri régulier, gigotant, me tournant , tentant d’échapper à sa frénésie comme on dit non pour dire oui … tout safe code est inutile, elle sait, elle sent … je n’en peux plus, je demande grâce, et me voilà soudain à quatre pattes, le buste tendu et le menton enfoncé dans la terre, en position de prière mais les jambes écartés autant que le permet mon jean rabaissé, avec l’impression qu’une fille toute entière veut entrer en moi … je me dilate autant que je peux, je ne suis plus qu’une gorge de feu liquide, une source thermale … je la sens partout, toutes les parois de la grotte s’écartent, elle avance doucement au rythme de ma chair et au son de mes râles, elle se frotte en moi en bougeant à peine, pas à pas, laissant à mon élasticité le temps de jouer, à mon corps le temps de s’ouvrir … de son bras libre elle entoure mes fesses comme pour les réunir, les maintenir ensemble malgré l’espace interne, et ses lèvres me massent , et ses dents me rappellent à la conscience de mon corps extérieur.


Un coup de klaxon suivi aussitôt d’une portière qui claque stoppe net notre sieste en prairie. Sa main qui se retire un peu trop vite après ce long mariage charnel est comme une déchirure, à la limite de la douleur.

Mon grognement se mue en parole : « On était en train de devenir siamoises ! Pas pratique, par là, en société !! ». J’ai envie de dire des conneries.

Pas le temps de rigoler. Le stress. En 3 secondes nous sommes rhabillées. Juste ce qu’il fallait pour le cri « Sophie ? » ayant vu nos sacs se transforme en un visage, qui aussitôt me déplaît, parce qu’il a l’air sympa, qu’il est joli, et que la grande fille déterminée qui le porte aime de toute évidence les filles.


- Ah, vous voilà !!

- Bonjour.

- Salut (chaleureux, un peu suave) … Solange, une copine de train … puis se tournant vers moi : Solange, Clotilde.

En plus ce prénom est moche. Logique.


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Quelques minutes plus tard, nous avançons vers la côte, dans une vieille 104 blanche qui bondit à chaque bosse comme un kangourou, toutes fenêtres ouvertes, avec du bon air plein le nez et les oreilles. Assise à l’arrière je n’entends pas tout de leur conversation, à laquelle se mêle la voix des suspensions, mais Sophie m’a expliqué que Clotilde est une vieille amie du sud retrouvée par les hasards de sa profession, et cela suffit à mon bonheur. Je savoure l’instant, m’abandonne à cette sympathique voiture que j’accepte pour destin, à laquelle je m’en remets avec confiance, où qu’elle aille, pourvu que Sophie soit avec moi.


A Quiberville, nous posons nos sacs chez Clotilde et après avoir visité avec une excitation enfantine la maison toute en hauteur et en bois chaleureux décorée comme un bateau, après avoir au passage repéré au grenier le matelas double qui nous est promis pour la nuit, après avoir jeté un œil au jardin et donné une caresse à la minette qui roupillait sur une table à lattes et vient nous saluer en s’étirant, nous buvons un jus de fruit et filons voir la mer.


Elle est basse à cette heure, et nous marchons sur les galets où des bouées jaunes échouées nous regardent passer. Le vent s’est levé et les vagues sont grosses, le drapeau est orange, de rares nageurs se sont jetés à l’eau, les promeneurs sont peu nombreux et tranquilles, des cerfs-volants de couleur virent et piquent du nez dans le ciel … quelque chose de sauvage réveille nos instincts, nous enlevons nos chaussures et partons par le sable chatouiller le bigorneau et l’anémone dans les roches alguées aux couleurs de l’espoir où nous restons des heures, sans notion du temps, dans une agréable communion qui se passe de mots, partageant nos découvertes, jouant des flaques chaudes et des courants froids, riant de nos petites glissades qui parfois me font tituber vers Sophie, sa main ferme et tendre ... Nous jouissons d’être ensemble, d’être bien, de vivre. La faim soudain nous ramène à la civilisation, à des moules pleines de doigts et de lèvres qui dansent devant nos yeux et pénètrent en nous, douce sublimation qui balance entre le plaisir présent et l’impatience de l’après, de l’autre, de l’intime. Clotilde m’apprend qu’elle était à la marche des fiertés à Paris l’avant veille, défilant avec des militants à deux pas du groupe auquel je m’étais jointe … curieux hasard, on aurait pu se voir … que ce jour me semble loin déjà, avec cette soirée salle Wagram, pleine de souvenirs et de tristesse, dont je suis rentrée avec une fille dont je suis incapable de me remémorer le nom , à ma grande honte …mais je chasse la contrariété qui s’annonce, c’était une autre vie.


Le jour commence à baisser et Clotilde nous a laissé pour faire des tirages photos avant de se coucher. Cette fille est décidément sympathique, finalement … et son prénom n’est pas si moche … et puis un prénom, c’est comme une famille après tout, ça ne se choisit pas.


Sophie et moi repartons à la plage. J’ai mis mon boxer des mers, elle m’a dit n’avoir pas de maillot. Le vent est tombé et la mer s’est calmée, comme pour s’endormir …

L’horizon nous offre un coucher de soleil magnifique, qui embrase notre baiser si longtemps retenu. Nos mains ne se quittent plus. Nous nous asseyons au pied de la falaise, mais l’excitation est plus forte que l’apaisement des éléments. J’ai envie d’elle, j’ai envie de me baigner, j’ai envie de me baigner avec elle. La nuit à présent est tombée et notre désir a la douceur de l’éphémère suspendu à l’éternité …

- Chiche pour un bain de minuit ?!

Elle n’hésite qu’un instant.

- Chiche !

Un peu fraîche au début, l’eau est parfaite dès qu’on y plonge en entier. Quelques brasses, un bon crawl … nager au loin et revenir, faire l’amour dans les vagues … Je l’enlace, elle m’embrasse … autour de nous les clapotis se taisent et même les mouettes ont disparu … je l’aime.

….

Ma main glisse le long de son dos et ne peut s’arrêter à l’élastique de sa culotte de coton …

- Attends …

- Quoi ? Si … J’étais tellement frustrée tout à l’heure !! .. ?

- Je … Tu n’aurais pas pu de toute façon … pas la bonne période …

- Ah … mais là … si … je …

Ma main dégage l’envie, libère le désir, accompagne la mer qui passe doucement entre les cuisses, reviens par derrière …

Sophie est plaquée contre moi, cabrée dans l’attente … j’entre doucement, sans effraction, et la soulève un peu …

- Solange …

- Oui ?…

Pourquoi cette question ? Je sais qu’il n’y a pas de suite, tout est dit …

A nouveau nous nageons.

De retour aux falaises, un élan de connerie à nouveau me traverse :

- Il n’est d’anémone heureuse que mouillée !

Je ne pense ni à l’amour ni au désir , je ne pense pas à ces petites bêtes rouges que nous avons observées tout à l’heure … je ne pense à rien, je ne sais pas ce que je dis …

Mais je regarde Sophie et je sens qu’il y a un au-delà du désir dont le désir est inséparable.


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Quelques heures plus tard, sous la lune qui par la lucarne dessine un sourire, nos corps se découvrent mieux , autrement … chaque millimètre de peau est senti, goûté, massé, contemplé, embrassé, chéri … chaque orifice exploré … la roche est belle et sa vie secrète aussi … secrète … de bonnes humeurs, chaudes ou fraîches, murmurantes …

La minette parfois bondit sur le lit et s’installe sur nous comme en son territoire, marche de ses pattes légères sur nos corps qui se lovent …

A l’aube les mouettes qui sillonnent le ciel nous crient leur énergie …


Sophie veut se lever, voir la craie s’illuminer des premiers rayons de joie, les pêcheurs et la plage déserte … l’air iodé nous purifie et ravive notre désir … nous rapportons de jolis galets et de beaux croissants que nous dévorons avec un bon café chaud avant de remonter, laissant à Clotilde les siens et un petit mot frais …


Quelques jours plus tard nous sommes à Paris, Sophie y est rentrée avec moi, se séparer n’a même pas été envisagé …


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Nous sommes le 14 juillet.


Nous avons partagé tant en ces deux semaines qu’il me semble qu’elles sont des années.

Sophie a pris le vélo qu’Alexia avait laissé, n’ayant ni local pour le ranger ni grande motivation pour pédaler sans moi, et nous avons roulé comme dans une féerie vers la Villette illuminée et le long du canal by night …Je lui ai passé le vieux T-Shirt de nuit aussi, dans lequel et sans lequel j’ai tant aimé Alexia, désacralisant sans douleur l’objet d’un temps dont il avait perdu l’odeur … De cinémas en plein air en expos non médiatiques, de recoins perdus du 18ème en soirées de pensées échangées, entre petits plaisirs spontanés en tous genres et rencontres amicales des potes et amis, toujours portées par l’envie du lendemain et la jouissance de l’instant, toujours mues par un désir sans faille mais sans répétition, osant les caresses que l’on croirait réservées aux jeux sans sentiment ou aux couples qui se connaissent par cœur à force des années … la magie du premier jour s’est poursuivie comme si elle devait durer toujours.


Assises sur la butte dans l’herbe humide au pied du sacré cœur, nous nous rappelons le talus normand. La foule autour de nous est détendue et joyeuse, les touristes se mêlent aux habitants du quartier, les enfants courent avec des cerceaux vert fluo et des pétards inoffensifs.

Des gerbes multicolores s’élèvent dans les airs, au loin , plus près, à droite, à gauche, et leurs grondements lointains se mêlent dans un cri de paix … tous les arrondissements et toutes les communes s’unissent à leur insu dans une fête d’artifice pleine d’authenticité. L’essentiel est là, palpable, qui fait lien soudain entre les petits êtres individués que nous sommes, qui tournent ensemble les yeux et la tête et se guident de la voix en s’adressant à la foule toute entière : « Oh !! là ! A gauche ! Regardez !! … » Il y a du vert et du rouge, comme un Noël d’été, un Noël réussi … et du mauve et du jaune aussi, comme un clin d’œil à nos mains enlacées dans la nuit …


Et puis le spectacle a pris fin, les bouquets sont retombés, les gens ont commencé à se lever … et là tout à coup, telle un soleil couchant, accueillie par un cri puis un silence total, la lune rouge s’est levée, énorme, et les yeux embués nous avons contemplé, frissonnantes d’émotion, cette magie du monde révélée à nous, en un merveilleux cadeau.

Nous sommes restées jusqu’au bout, emplies d’humilité, jusqu’à ce que, petit et blanc, à nouveau tout là haut, l’astre nous regarde, de son aspect connu, comme si de rien n’était …


Alors nous nous sommes levées, amoureuses, les fesses mouillées de vert et les yeux plein de rêve …

Nous avons marché en silence et nous sommes rentrées pleines d’un bonheur sans nom, sans mot pour l’exprimer …

Nous nous sommes unies comme jamais, dans une intimité nouvelle, nous nous sommes dit les mots dont en vérité on ne se passe pas …

Et nous nous sommes endormies à l’aube, entrelacées dans nos ardeurs comblées, emmitouflées dans le bonheur … la vie …


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Le lendemain nous avons parlé de nos familles.


Après Alexia, après toutes ces rencontres, j’étais agréablement étonnée du peu de complications dont Sophie faisait état à cet égard …

J’avais vu tant de situations douloureuses, entre les familles qui refusent tout ce qui n’est pas norme hétérosexuée monogame, entre celles qui rejettent et celles qui consolent ou tentent de guérir, entre celles qui vivent par procuration ou pour leur propre narcissisme ce qu’elles voient comme une déviance branchée … et cette fille, tunisienne, qui avait intégré ce qu’on lui avait inculqué de la femme faite pour l’homme et ne voyait d’autre issue à sa diabolicité présumée que le suicide … et ma famille à moi, qui me prenait la tête sur la nécessaire rencontre et acceptation de l’altérité, en un jargon volé sans le comprendre aux psys de la télé, eux qui refusait toutes les différences, me faisant la leçon, à moi qui les avait tant vécues, ces différences …


Sophie avait comme moi une famille coupée du monde, comme moi elle ne connaissait ni ses tantes ni ses oncles, les disputes de la génération précédentes ayant ôté toute possibilité de contact.

Elle n’en avait pas de regret, disant que le peu qu’elle en savait ne lui donnait pas envie d’approfondir la question. Ses parents et sa sœur étant intelligemment tolérants et ouverts, son homosexualité n’était ni un problème ni un emblème, simplement un fait qui ne remettait rien en cause à leur lien d’amour.


Nous avons découvert que nous avions toutes deux des origines du côté de Lille … nous avons rit de ce que toutes deux nous avions aimé notre grand mère en l’ayant à peine vue, pour sa sérénité à l’approche de la mort, pour ses rides … nous avons constaté comme une fatalité le fait qu’un héritage ait suffit réveiller les haines fraternelles, nous avons ironisé sur la valeur famille de ces bons catholiques …

Puis je lui ai confié mon besoin de retourner à mes racines, le désir qui me tenaillait de me rendre sur la tombe de cette grand-mère dans le Pas de Calais … et nous avons décidé de prendre la route le week-end suivant pour cette expédition que je pensais auparavant faire seule mais qu’avec Sophie je me sentais l’envie de partager …


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Nous sommes au cimetière. Je me recueille sur la tombe de ma grand mère, je lui dis tout mon amour d’enfant et tous mes espoirs d’adulte, je médite sur ses dates de naissance et de mort, sur sa différence d’âge avec le grand père que je n’ai pas connu.

Sophie respectant ma pudeur fait un tour plus loin.

J’essuie quelques larmes et d’un même mouvement, la rejoins et lui fais signe de venir …


En ressortant je me tourne une dernière fois, apaisée, vers la tombe, et la lui désigne d’un geste.


Elle lit la plaque et je vois ses yeux s’exorbiter.

- Solange … Je … tu … mais c’est le même nom ! C’est ma grand mère !!!!!

Elle a hurlé. Et poursuit, haletante :

- Je me souviens à présent , oui, bien-sûr , le nom du village qui m’évoquait quelque chose … même le nom de jeune fille me revient !

Elle s’étrangle, je la secoue, elle se retire, je pleure

- C’est pas vrai ! Dis moi que c’est pas vrai !!!

Mais je sens au fond de moi que les jeux sont faits, que c’est vrai … quelque chose s’effondre … je murmure encore, inaudible, faiblement, simplement :

- Non…



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Après ce traumatisme nous ne nous sommes plus touchées.

Sophie avait beau dire en riant « Tant qu’on ne se reproduit pas ! » ce n’était plus possible, il n’en était plus question. Pendant quelques temps nous n’avons plus pu nous voir.

Et puis Sophie m’a appelé un jour, alors que je rentrais du boulot :

- Salut, c’est ta cousine ! On va draguer ensemble ce soir ?

- OK, mais d’abord on trinquera à la famille !!


La vie était triste, pleine de souvenirs.

C’est si loin à présent , c’est si loin, à présent et pour toujours, c’est si loin , ouin ouin …

Je veux vivre. Et j’attends tout de l’impossible.

La vie est belle. Pleine de surprises.

J’attends.

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